La solitude et le silence ont peu de place dans ma vie parisienne. J’avoue que cela me va bien. Dès mon enfance (je devais avoir autour de huit ans), j’ai su que jamais je ne vivrais à la campagne, ni même dans un lotissement aussi calme que celui où j’habitais avec mes parents. La vraie vie me semblait toujours m’échapper. J’avais en permanence le sentiment que j’étais aux marges d’une réalité forcément exaltante. Que tout ce qui était digne d’intérêt ici-bas se déroulait dans un autre monde, sans moi. Comme si vivre en centre ville, c’était être au centre de la vie. Aussi je m’étais fait la promesse, quand je serais grande et que je pourrais décider seule de mon existence, d’habiter un endroit facile d’accès, où les aller et venues me donneraient l’impression d’être dans le mouvement, où les magasins et les cafés ne seraient jamais loin. C’est une promesse que j’ai tenue !
Quelques voyages et quelques expériences de méditation m’ont, occasionnellement, ouvert les portes d’un autre monde, fait simplement du temps qui passe et du souffle qui me traverse. Mais rien n’a été aussi fort que la randonnée en vélo entreprise l’été dernier, seule, à travers quelque 500 km de pistes plus ou cyclables et de petites routes. Quoi qu’il en soit, on est bien solitaire dans l’effort physique. La concentration qu’il produit nous renvoie à cet univers intérieur, que j’ai trouvé tout à coup densément peuplé de chimères qui ne m’étaient d’aucun secours. J’entends pas là, de considérations et de préoccupations qui perdaient alors en grande partie leur force voire leur sens. L’agitation habituelle, extérieure et intérieure, n’était plus nourrie. La solitude et le silence ont pris place.
Je craignais de trouver le temps infiniment long. Surtout le soir, car je n’avais prévu comme passe-temps que la lecture de la Bible, laissant volontairement de côté toute autre distraction. Qu’avais-je fait là ? Une fois, passe encore, mais tous les jours… Tous les jours, après la solitude de l’effort, trouver celle de ma tente, et ce silence autour. Si la peur a pris place dès les premiers temps de ce parcours à vélo, c’était la peur de l’ennui. Cette idée me rebutait et m’aurait presque fait regretter de ne pas m’être chargée un peu plus, au moins en emportant un autre livre un peu plus drôle ! Mais bon, voilà, j’étais partie, je n’avais que ma Bible avec moi et le contrat passé avec moi-même était de ne pas regarder de vidéo et autres consommables en ligne pour ne pas me laisser happer. …Dur !
Dans la contrainte, tout ce qu’il y avait de moins naturel pour moi a trouvé peu à peu ses marques dans mon esprit. Comme si on venait de changer la disposition des meubles dans une pièce et que cela modifiait complètement la façon d’y circuler. Comme si un tri venait d’être opéré dans un bric-à-brac innommable, mettant de l’ordre et de la clarté là où une forme de saturation ne laissait que peu d’espoir. Dans cet espace intérieur comme agrandi par le silence, j’ai commencé une autre vie. « Reste en silence devant le Seigneur, attends-le avec patience », dit dans la Bible le Psaume 37 (verset 7). Et quand Dieu se manifeste, la vie n’a vraiment rien d’ennuyeux !... lire la suite
Tomber, c’est la hantise du cycliste. Prudent, mais jamais protégé, on est toujours vulnérable sur un deux-roues. Et un accident est vite arrivé ! Alors que j’arrivais à Sète après plusieurs heures de pédalage, et même plusieurs jours passés sur mon vélo, la route qui permettait d’entrer dans la ville était très embouteillée. Eté et soleil obligent, les vacanciers se pressaient pour atteindre les plages. Mais sur une bicyclette, on arrive à se faufiler à peu près n’importe où ! Entre les véhicules à tout-touche et un trottoir anormalement surélevé, je filais donc en dépassant tout le monde. C’est un simple rétroviseur qui m’a arrêtée dans ma course. Je n’avais pourtant fait que le frôler… Mais cela a suffi à me déstabiliser et à me faire tomber dans l’étroit goulot que j’empruntais à vélo. Atterrir brutalement sur le sol, c’est sûr, cela ne fait pas du bien. Le pire, c’est tout de même la peur qui vient juste après la douleur. Peur des dégâts physiques, bien sûr, et matériels.
Ce simple moment de stress, dans un cas comme le mien, se transforme en angoisse lorsque le choc ne permet pas de se relever – et cela m’est arrivé aussi ! Difficile de souffrir, mais encore plus difficile de ne pas savoir si l’issue est proche ou sera compliquée. Si l’histoire se contentera de nous laisser un mauvais souvenir ou si les conséquences se répercuteront sur le reste de notre vie. L’attitude de l’entourage immédiat est déterminante pour nous aider à aborder la phase d’incertitude qui succède à l’accident.
Alors que j’étais sur le bitume, encore toute endolorie après ma chute à vélo, la mère de famille qui était installée sur le siège du passager était bien plus inquiète pour moi que pour sa voiture. Elle a été, en quelque sorte, mon bon samaritain ! Comment je me sentais ? Est-ce que je pouvais me lever ? Dans quelque état que ce soit, tomber implique de devoir se relever à un moment ou à un autre, facilement ou non, seul ou accompagné. La posture est presque autant mentale que physique.
Ainsi, il m’est arrivé de chuter et de ne pas avoir envie de me relever. De ne pas me sentir prête à faire face au genre de vie qui allait reprendre après l’accident. Mais il est impossible d’éluder éternellement. Il faut trouver le chemin, le seul parce que le nôtre, singulier et unique, qui nous permettra de nous retrouver à nouveau en position debout. Dans le corps et dans la tête. Alors on se révèle. Notre caractère profond, nos ressources, nos doutes, tout émerge au grand jour. Pour le meilleur et pour le pire, dans l’immédiat, mais souvent pour le meilleur sur le long terme. Terrible constat que de reconnaître qu’il est possible d’apprendre, de grandir, de se transformer et vraisemblablement de s’enrichir avec la douleur ! Pas grâce à la douleur. Pas malgré ou contre la douleur. Mais avec elle, parce que nous ne pouvons échapper à l’insupportable. J’ai souvent cherché, attendu, espéré ou entendu les autres chercher, attendre et espérer le miracle. Jusqu’à ce que je me rende compte qu’il était déjà là, dans cette possibilité de vivre les événements de manière à ce qu’ils me construisent et non pas à ce qu’ils me détruisent. Sans doute déjà, à mes yeux, un effet de la grâce de Dieu…... lire la suite
Il y a le vent, il y a la pluie, il y a la chaleur. Surtout, il y a la douleur immense qui finit par habiter tout le corps. Au bout de trois jours de randonnée à vélo à un rythme assez intense, la souffrance physique me fait découvrir des recoins inexplorés de mon anatomie. Je me dis que jamais je ne pourrai arriver à destination par les voies cyclables. Il faudra prendre le train, appeler quelqu’un, faire quelque chose ! Mais quand on a préparé son départ, qu’on s’est réjoui de se lancer à l’aventure et d’explorer le temps autrement (autrement qu’en se dépêchant chaque matin, autrement qu’en écoutant de la musique pour oublier l’inconfort quotidien des transports en commun), quand on a rêvé de contemplation et qu’on a choisi soi-même le défi qu’on voulait relever, on ne renonce pas facilement. Encore un jour, encore une nuit et on verra…
C’est ainsi que passé le quatrième jour, les messages envoyés par mon corps n’ont plus été les mêmes. Les sensations avaient changé. J’avais passé un cap. En fait, j’étais comme au-delà de la douleur. Je ne sentais plus l’effort tirer et brûler dans chacun de mes muscles, dans chacune de mes articulations. De nouveaux ressentis avaient pris possession du territoire de mon corps. J’étais bien, comme galvanisée. Cette impression de bien être est restée, se conjuguant jusqu’au bout à l’effort physique mais plus du tout avec les mêmes tensions dans les bras, par exemple. J’étais presque étonnée de découvrir de telles sensations.
Sans doute l’endorphine y est-elle pour quelque chose... Vous savez, cette hormone que sécrète le corps une fois qu’il est habitué à un effort physique régulier. Il paraît que certains peuvent même devenir accro au sport par son intermédiaire ! Ce qui ne m’est pas arrivé, je dois l’avouer. Mais j’ai découvert à quel point la satisfaction, le bien être même, pouvaient être grands en même temps que la fatigue et l’effort. Étonnant !
Au-delà de tous les états (physique, intellectuel, émotionnel, sentimental…) qui me caractérisent en tant qu’être humain – en particulier face à la douleur – je me sens rattrapée par les paroles du Christ. Rattrapée par ce discours qu’il prononce devant une foule réunie au pied d’une colline – d’où le nom qu’on a donné à ce passage de la Bible : « sermon sur la montagne » (Matthieu 5). Les affligés, les pauvres d’esprit, les victimes qui aspirent à la justice, les persécutés… Tous sont déclarés heureux. Ce n’est pas une promesse, c’est déjà une réalité présente. Et Jésus n’enseigne pas là l’auto-suggestion !
Peut-on être à la fois malmené par la vie (que ce soit dans notre corps ou notre âme) et heureux ? Comment cela est-il possible ? Je n’ai pas d’explication à partager mais peut-être simplement ce désir d’essayer, d’expérimenter la joie que propose le Christ et qui transcende notre situation immédiate. Comme une espérance.... lire la suite
On peut voyager pour un tas de raisons différentes mais quand j’y pense, on peut les résumer à seulement deux : voyager pour trouver la confirmation de soi ou pour être bousculé, renouvelé. Car finalement, toutes les attitudes que nous allons avoir durant notre séjour vont avoir pour moteur l’une ou l’autre de ces raisons.
J’ai beaucoup trouvé autour de moi des personnes heureuses de se trouver confortées dans leurs habitudes. A leur grand soulagement, l’hôtel était proche du confort européen. Elles étaient heureuses de retrouver au petit déjeuner les viennoiseries qu’elles aiment tant – même si elles ne sont pas aussi bonnes qu’en France – et à midi, des clubs sandwich. Rien d’original, mais au moins quelque chose d’identifiable ! Et puis les visites étaient intéressantes mais les transports… Parlons-en, tiens ! Rien n’est indiqué, pas de signalétique, même pour les sites les plus connus. Décidément, qu’est-ce qu’on est bien chez soi !
On peut aussi voyager pour se laisser décentrer. J’aime bien ce verbe, décentrer, parce que même s’il est un peu galvaudé, il désigne avec exactitude le phénomène à l’œuvre. Alors que dans notre quotidien tout est construit autour de nous : nos habitudes, notre rythme de vie, le type de courses que nous faisons, le type d’activités que nous programmons sur notre temps libre… alors que tout cela tourne autour de nous, partir nous permet de repenser ou de conscientiser ce que nous aimons, ce qui nous manque, l’inquiétude, le plaisir ou le déplaisir que nous avons à découvrir d’autres coutumes et d’autres mœurs.
En somme, nous avons là l’occasion de nous tourner vers l’autre, vers ce qui est différent, vers la nouveauté. Toutes choses assez canalisées le reste du temps dans notre vie de tous les jours. Pourquoi est-ce si important (en tout cas à mes yeux) de faire cet exercice ? Pourquoi se donner la peine de s’adapter quand la mondialisation nous permet de recomposer notre petit univers à peu près partout dans le monde ? Non, il ne s’agit pas d’aimer se faire du mal ou de trouver de l’intérêt dans la difficulté ! Mais le voyage est un cadre d’apprentissage exceptionnel. Il peut même devenir une expérience spirituelle, si nous le voulons ! Et pour cela, pas besoin d’aller dans un ashram en Inde, ni même de partir loin pour un séjour long et coûteux !
L’été dernier, je me suis acheté un vélo. Un bon vélo, c’est vrai. Un vélo costaud. C’était la condition... Et je suis partie en randonnée sur les routes de France. J’ai pu expérimenter que dans un monde individualiste, parfois hostile, il y avait encore nombre de personnes serviables. J’ai découvert que la proximité avec la nature (dont le confort matériel me tient loin la plupart de l’année) me fournissait un nombre incalculable de petits bonheurs quotidiens. J’ai pu voir que Dieu cultivait avec délicatesse et humour l’art de ne jamais être où on pensait qu’il était (ou rarement).
Plutôt que de vous raconter ces expériences en détail, j’aimerais partager avec vous la joie, l’étonnement et le plaisir qu’il peut y avoir à être décentré, pour finalement aller à la rencontre de soi-même. C’est ce que je nous souhaite à tous ! ... lire la suite
Sophocle disait en substance que pour celui qui a peur, tout bruit semble signaler un danger. Ce que je trouve particulièrement juste dans ce qu’il exprime, c’est que la peur précède parfois, souvent, tout indice alarmant. Je ne parviens pas à trouver la peur intéressante. Si elle ne nous paralysait pas dans les moments les plus importants, si elle nous permettait de mieux nous préparer à faire face à la menace qui y est associée, alors elle serait utile. Mais c’est rarement le cas !
Quand j’ai voyagé seule à vélo, je dormais chaque soir dans un endroit différent. Par chance, j’ai toujours trouvé de la place dans les campings mais j’étais éventuellement prête, si nécessité avait fait loi, à planter ma tente près d’un champ ou dans une clairière. La solitude, les chemins plus ou moins balisés, le camping… Quand, à mon retour, j’ai raconté le chemin que j’avais parcouru durant l’été, je ne compte pas le nombre de personnes qui se sont affolées rétrospectivement !
La seule idée de dormir dans un camping aurait dû m’arrêter, selon ces amis bienveillants dont la plupart n’avait jamais campé nulle part. Pour ma part, je ne me suis jamais sentie vulnérable ou en danger. Ce qui n’est pas une raison pour relâcher sa vigilance ou ne pas préparer son itinéraire avec précision. Mais que la peur précède l’expérience, voilà une chose que je peine à comprendre. Ou alors elle doit nous pousser à nous informer, à observer, à chercher des réponses aux questions qu’elle soulève. Et s’il résulte de cette réflexion que notre projet n’est pas réalisable, ce n’est pas la peur qui nous l’aura volé. C’est la conscience de l’enjeu et notre capacité à décider qui nous aura rendu acteur de la situation.
Dans la Bible, l’apôtre Jean écrit que « l’amour parfait bannit la peur » ou « la crainte », selon les versions (1 Jean 4.18). Je n’ai jamais vraiment compris ce que la peur et l’amour avaient à voir ensemble. Spontanément, j’ai du mal à articuler ces deux sentiments de la façon dont le fait ce verset. L’amour ne serait pas dans la crainte et la crainte ne serait pas dans l’amour. Mais quand je réfléchis à comment l’amour d’une part et la peur d’autre part nous font agir, je me dis que ce sont deux moteurs absolument opposés.
Ainsi, nous aurions le choix : chaque fois qu’une décision est à prendre, chaque fois que nous avons un projet en tête, chaque fois que nous avons un risque à prendre, nous pouvons être mu par l’amour (amour de Dieu, amour de l’autre, amour de la vie…) ou par la peur (peur de soi, peur de la vie, peur de l’incertitude…). Et selon le conseil de Jean, mieux vaut être mu par l’amour – l’amour parfait, qui plus est, quoi d’autre ?! Autrement dit, il nous invite à la vie plutôt qu’à la prudence ; à l’amour plutôt qu’à la sagesse ; à l’espoir plutôt qu’à la peur. Telle est sa philosophie, sa déontologie, son art de vivre. À nous de voir sous quel éclairage nous voulons percevoir les événements de notre existence, l’amour… ou la peur.... lire la suite
Je n’aime pas me reposer. Les siestes crapuleuses et autres moments d’oisiveté n’ont jamais vraiment exercé de charmes sur moi. Au contraire, fermer les yeux, que ce soit pour dormir ou simplement pour se détendre me laisse toujours un arrière-goût de frustration. J’ai le sentiment que la vraie vie a continué sans moi alors que j’étais coupée du monde. J’imagine forcément que les épisodes les plus savoureux se sont déroulés sans moi et rien ne peut me consoler de ces moments perdus à jamais.
Mais le corps a ses besoins, que la raison ne peut ignorer – du moins, pas éternellement ! C’est ainsi que je me suis retrouvée un jour dans un champ d’oliviers, au bord d’une départementale où la vitesse des voitures défiait de trop près la cycliste que j’étais. Circulation ininterrompue, chaleur croissante… Autant de facteurs difficiles à gérer quand on a enfourché son vélo tôt le matin et qu’on a l’ambition de rouler une centaine de kilomètres dans la journée.
Se voir progresser sur l’itinéraire qu’on s’est fixé fait tenir encore le temps de quelques coups de pédales supplémentaires. Puis vient la côte de trop, celle qui surgit au détour d’un énième virage et s’impose comme un obstacle insurmontable. Non, décidément, le courage n’était plus au rendez-vous. La fatigue avait raison de moi. Mieux valait mettre pied à terre ! Par chance, dans le contexte hostile d’une route écrasée de soleil où n’apparaît pas âme qui vive, je trouvai ce champ d’oliviers.
Pourtant, un peu d’ombre, de l’eau et de quoi manger ne me suffirent pas. Je sentais bien que j’avais besoin de davantage pour récupérer qu’une petite pause. Aussi, je finis par dérouler mon matelas de camping pour m’allonger. Le sommeil me saisit. Etrangement, je fus réveillée par le calme revenu : après 13 heures, les voitures se raréfiaient, les conducteurs avaient eux aussi besoin de leur pause ! Le moment était parfait pour me remettre en selle et affronter cette côte sans risquer d’être frôlée par les véhicules pressés de dépasser !
Je pliai rapidement bagages, prête à reprendre le cours des événements là où je l’avais laissé. Quelle ne fut pas ma surprise quand, en regagnant la route, je vis que ce qui me paraissait comme une véritable épreuve une heure avant n’était en réalité qu’une petite départementale montant légèrement à flanc de coteau… Etait-ce bien là l’obstacle qui m’avait découragée ? Il ne pouvait en être autrement. Le paysage n’avait pas bougé durant mon sommeil ! C’était mon regard sur la situation qui avait changé.
J’aime me souvenir de mon étonnement à cet instant. Et je voudrais me rappeler, toujours, qu’en me reposant sur Dieu, la perspective des événements que je traverse peut être radicalement différente. « Venez à moi, vous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. » Cette invitation du Christ dans l’évangile de Matthieu (Matthieu 11.28) est plus qu’une invitation à faire une simple pause. Jésus se propose de porter à notre place le poids de tout ce qui nous tire vers le bas. Pourquoi ne pas le laisser faire ?... lire la suite
L’élégance aurait voulu que je m’arrête ailleurs que sur ce bord de route, envahi par les taillis. Seulement voilà, j’avais à peine de quoi m’asseoir sur la pierre qui se trouvait là mais c’était déjà un repos salutaire. J’avais roulé dès le matin, tôt, le soleil de l’été n’était pas encore levé. Mais il fallait que je me rende à l’évidence : la nuit n’allait pas tarder à tomber et avec mon vélo, je n’étais pas équipée pour poursuivre la route dans ces conditions-là.
Le rêve qui m’avait portée jusqu’ici faisait bizarrement moins d’effet au fur et à mesure que je m’approchais du but. Combien de fois m’étais-je imaginée arrivant de Lyon après des jours de pédalage dans ce petit village du sud de la France où mes parents élisent domicile à la belle saison ? Ce village a la particularité d’être dominé par un fort, construit par Vauban. Si bien qu’à l’approche, on aperçoit d’abord ses hauts murs et ses tours avant de découvrir le village, au détour du virage. En partant de chez moi, je me disais déjà : « Ah, quand tu verras le fort, quelle joie, quelle fierté ce sera de toucher au but. Qui aurait cru que tu franchirais un jour toutes ces étapes pour aboutir ici à vélo ? »
Et j’y étais ! Enfin, presque… Il me restait une trentaine de kilomètres avant la fameuse perspective sur le fort. Mais qu’est-ce que 30 kilomètres quand on en a déjà fait plus de 500 ? Hélas, il fallait bien le reconnaître, j’arrivais au bout de ce que je pouvais donner. Non seulement la nuit tombait mais mes ressources physiques commençaient à faire défaut. Je me sentais usée, fébrile, concentrée sur le guidon au détriment de l’environnement global et des voitures qui me dépassaient ; un peu comme dans un état second qui ne présage rien de. Bon quand il faudrait être en mode vigilance.
Tout ce contexte et le peu de capacité de réflexion qui me restait m’ont poussée à m’arrêter plutôt qu’à risquer l’accident juste pour apercevoir le fort depuis mon vélo. Là, sur le bord de cette route, sur mon morceau de rocher, je téléphonais à mes parents pour que l’un d’eux vienne me chercher. Comme il est bon d’avoir quelqu’un à appeler ! Je savourais cette chance, en même temps que je digérais mon renoncement. S’il est des décisions coûteuses en humilité, celle-ci en fut une ! C’était la fin de l’aventure et elle se terminait comme ça… Autrement dit, pas du tout comme je me l’étais représenté ! J’avais peur de regretter, a posteriori, ou même de m’en vouloir de ne pas avoir trouvé la force des derniers kilomètres.
Finalement, j’ai simplement appris à connaître et à reconnaître mes limites. Parfois, on peut tout donner, sincèrement et honnêtement. Sans retenue, et même au détriment soi. Et pourtant, ça ne suffit pas… Nous ne pouvons qu’admettre le constat de notre impuissance, ou du moins le constat que nous ne sommes pas tout-puissants (ce qui, au passage, est plutôt une bonne chose, il me semble).
Mais l’histoire ne s’arrête pas à ce constat ! Quelqu’un est présent pour prendre le relais. Quand les forces nous manquent, cette personne est là pour faire aboutir la quête, certes peut-être pas de la manière dont nous l’aurions voulu. Nos lacunes sont comblées, sans jugement ni commentaire. Cela n’est possible que si nous reconnaissons que nous avons besoin d’aide. Dieu nous invite à le faire sans crainte dans toutes les situations de la vie. Il est prêt à venir à notre secours, pour peu que nous acceptions l’idée que nous ne sommes pas assez forts pour tout faire tout seuls.... lire la suite
J’avais entamé mon périple à vélo (un peu plus de 500 kilomètres) pour le meilleur et pour le pire. Aussi, même quand je me suis retrouvée sur ce pont, transie de peur du fait de sa hauteur et de sa longueur interminable, je n’ai pas imaginé une seconde mettre pied à terre et traverser en marchant. Mais les chutes d’eau impressionnantes qui s’échappaient du barrage, en contre bas, produisaient un bruit assourdissant. En plus, pas de chance, j’avais le vent contre moi et la voie cyclable, surélevée par rapport à la route, m’apparaissait particulièrement étroite vu l’envergure de mon paquetage. Il allait falloir tenir l’équilibre, d’autant que la barrière à claire voie (entre le bord et moi) était par trop insuffisante à mon goût ! Pourtant, il fallait bien y aller... Fournissant un effort physique à peine au-dessus du niveau de ma peur, je réussis à relever le défi.
Le même jour, qui l’eut cru ?, je rencontrais un deuxième pont qui n’avait rien d’une passerelle pour les amoureux ! Cette fois, pas de barrage, pas de chutes d’eau, mais il me semblait encore plus long que le premier, bombé, dominant un paysage grandiose. Et toujours les turbulences de ce vent contraire ! Je me sentais petite et fragile, à la merci des éléments, comme un insecte sorti de son écosystème. Je m’arrêtais, souffle coupé, avant d’entamer la traversée. Un pont, je voulais bien, mais un deuxième ! Alors que je m’étais à peine remise des émotions qui avaient précédé…
Je respirais un grand coup, dans l’idée de pousser de toutes mes forces sur les pédales… sans y arriver… La mince piste cyclable, accolée à la rambarde, m’inspirais à peu près autant d’enthousiasme que lors de mon passage sur le barrage. Rebrousser chemin ? Pas question ! Changer d’itinéraire ? Non merci. Passer à pied ? Je n’y ai même pas pensé ! Mais prier, ça je voulais bien et je pouvais le faire. « Seigneur, peux-tu veiller sur le fragile équilibre que je dois maintenir dans les conditions que tu vois ? » Et je m’élançais, court-circuitant dans ce mouvement le flux de mes pensées, jusqu’à mon arrivée de l’autre côté.
Objectivement, la difficulté n’était pas extraordinaire. Mais le fait est que cette étape m’effrayait et que j’avais pu la surmonter. Je n’arrivais pas à démêler mes émotions, entre résidus de peur, bribes de fierté et une grande reconnaissance. J’avais réussi parce que je n’étais pas seule. Parce qu’en me confiant à Dieu, c’était comme si j’avais accroché un câble au ciel et que j’étais assurée, d’une manière ou d’une autre, de parvenir au bout.
La foi ne met pas le croyant sous cloche, à l’abri du danger, du besoin ou même de la peur la plus banale. Nous restons humains, avec des réactions humaines. La foi ne fait pas de nous des super héros. En revanche, elle nous donne l’énergie, la paix, l’espérance qui nous sont nécessaires pour faire face aux événements et qui sont si difficiles à trouver en soi en toutes circonstances. Dans cette vie ordinaire, que le croyant partage avec le commun des mortels, il a avec lui une force extraordinaire.... lire la suite
Le soleil était écrasant. Ce jour-là, j’avais déjà pédalé plusieurs heures quand j’ai atteint Perpignan, l’avant-dernière étape de ma randonnée à vélo. Au fur et à mesure que je me rapprochais du but, l’effort devenait plus pénible. Difficile de rester mobilisée jusqu’au bout… Aussi, je savais que j’aurais besoin de recharger les batteries comme jamais pendant ma pause de la mi-journée. La perspective d’un temps de repos maintint ma volonté de tenir jusqu’à trouver un endroit calme où me poser. Je rêvais d’un banc pour m’asseoir enfin sur autre chose qu’une selle de vélo ! Je soupirais après l’ombre pour retrouver une température supportable. De l’herbe et de l’eau (une fontaine, par exemple) seraient aussi bienvenus pour me rafraîchir et m’allonger un instant avant de repartir. Mais où trouver un tel endroit ?
À bout de force, à bout de volonté et à bout de patience, je fis ce que font beaucoup d’êtres humains lorsqu’ils ont épuisé tous leurs recours : je priai ! Pour demander seulement un banc, d’abord. C’est ce qui me paraissait le plus essentiel. Puis pour de l’ombre aussi, car la chaleur avait usé ma résistance. Enfin, pour de l’eau – denrée si précieuse en temps de canicule ! Bref, de « verts pâturages » et des « eaux tranquilles », comme il est écrit dans un des psaumes de la Bible. Et quitte à demander l’impossible – car trouver à l’instant T un tel endroit me paraissait relever du rêve – je n’hésitai pas à alourdir le cahier des charges en demandant à Dieu à tomber sur cette oasis sans avoir à dévier de l’itinéraire prévu.
Alors apparut en face de moi, au bout de la rue, ce qui ressemblait bel et bien à un coin de verdure. Si le hasard aurait pu conduire au même résultat, le fait est que ce parc correspondait en tout point à ma demande, formulée quelques minutes plus tôt. Si je n’avais rien demandé, j’aurais pu mettre cela sur le compte de la chance. Mais en l’occurrence, ma prière rejoignait la réalité. N’est-ce pas ce qu’on appelle l’exaucement ? Vu la rapidité de la réponse, est-ce que cet exaucement n’était pas déjà en cours alors même que je n’avais pas dit « amen » ?
Cet exemple n’a pas pour vocation de clore le débat sur les miracles, encore moins de délivrer une recette pour en obtenir. Au contraire, il pose plus de questions qu’il n’y répond : pourquoi est-ce que « ça ne marche pas » aussi facilement à chaque fois ? Pourquoi certaines demandes plus essentielles, vitales, comme par exemple une guérison, n’obtiennent pas la réponse escomptée ? Pourquoi Dieu réalise-t-il de petites choses quand il en reste tant de graves en suspens ? Toute notre vie, peut-être, nous resterons face à ces mystères… Ce dont je suis sûre, c’est que pour lever ne serait-ce qu’un coin du voile, il nous faut donner à Dieu sa chance. Si nous ne demandons rien, si nous n’exprimons rien, nous ne pouvons rien voir de ce que Dieu est prêt à faire pour nous. Pour tenter de percevoir son action et d’en comprendre quelque chose, nous ne pouvons pas faire l’économie de l’expérience. C’est un risque à courir, en même temps qu’une façon d’ouvrir la porte des possibles. Qui sait, nous pourrions être surpris en bien ?... lire la suite
Je craignais que le projet soit trop grand pour moi. Lyon-Perpignan à vélo en une semaine, n’est-ce pas une folie ? Je suis partie déterminée mais humble face à ce défi que je m’étais lancée à moi-même. La première étape me permit de m’évaluer. Elle se déroula sans problème, de façon aussi linéaire que l’était la route se déployant sous mes roues. Je décidai donc d’un programme plus soutenu pour le lendemain et de rouler plus longtemps. À la fin de ce deuxième jour, les 137 kilomètres parcourus dépassaient mes espérances !
Le troisième jour, je partis bille en tête : il fallait faire au moins aussi bien ! Peut-être même réussirais-je, une fois de plus, à me surprendre ? L’idée – que dis-je ?!, l’envie de la performance occupa dès lors largement mon esprit. Jusqu’à ce que l’épuisement, témoin douloureux de nos limites, me rappelle à la réalité. Et à ce que j’étais venue faire là, seule sur ces grandes routes et ces petits chemins, poursuivant un but qu’aucune urgence vitale ne m’obligeait à atteindre.
Non, mon objectif n’était pas d’avaler du kilomètre pour avaler du kilomètre, même s’il fallait bien avancer. Ce n’était pas non plus, ou pas seulement, de donner à mon corps un exutoire dont ma vie sédentaire le privait le reste de l’année. Ce périple à vélo était dédié à une relation renouvelée au temps et à Dieu, par la méditation et la contemplation. Par la lenteur d’une aventure qui se déroulerait au rythme des pédales et non tractée par le TGV de l’ambition.
Et voilà que je m’étais mise à vouloir ! Vouloir réaliser un certain nombre de kilomètres – comme s’il pouvait aller croissant chaque jour ! Vouloir épater la galerie. Vouloir pousser mon corps au-delà du raisonnable pour me prouver que l’impossible est possible. … Comme je m’étais vite laissée entraînée par l’attrait de l’exploit (fut-il relatif aux yeux des plus sportifs d’entre nous) ! Forte de la satisfaction d’avoir accompli une longue étape, je n’avais plus songé qu’à reproduire l’effort et comptais sur mes forces comme sur une mécanique brillante, infaillible ou du moins assurée tout risque.
Ce jour-là, je fis un peu moins d’une centaine de kilomètres. Pour autant, ce chemin eut des prolongements intérieurs profonds : renoncer à la performance comme une fin en soi, retrouver le sens et tirer ma joie du présent. Comme, si possible, dans la vie. À compter sur ses capacités propres, on se met la pression et finalement… on a peut-être moins de succès qu’en restant humble et désintéressé, juste porté par un désir candide et une confiance en l’avenir qui ne s’argumente pas.
C’est sans doute à un tel état d’esprit que le Christ nous invite lorsqu’il prend en exemple les enfants. « Laissez-les venir à moi car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent », dit-il à ses disciples. Jésus nous ouvre ainsi les portes de ce qui pourrait nous sembler inaccessible ou infiniment coûteux en énergie et en efforts. Mais il semblerait qu’avec lui, les choses les plus importantes ne se gagnent pas à la force du poignet. Elles sont d’ores et déjà offertes à ceux dont le cœur est disposé comme celui d’un enfant, humble, fragile, confiant.... lire la suite
Je n’ai jamais demandé à avoir un vélo. Ni le premier, sur lequel j’ai appris à pédaler à contre cœur, ni le deuxième. Mais mon père s’était mis en tête qu’il était temps que je sache tenir l’équilibre sur autre chose qu’un tricycle. Puis, aimant lui-même le vélo, j’en déduis que l’achat d’un VTT, quand j’étais adolescente, n’était pas dénué d’arrière-pensée. Sans doute espérait-il, même s’il ne l’a jamais dit, que je l’accompagne de temps en temps dans ses sorties. Et c’est bien ce qui s’est passé. Moitié pour lui faire plaisir, moitié parce que j’ai toujours aimé les destins hors du commun, je lui disais que plus tard, je remplacerais Janie Longo. J’étais loin de me douter, alors, qu’à défaut de faire carrière dans le cyclisme, le vélo me ferait vivre un jour, beaucoup plus tard, une grande et belle aventure. Pour l’heure, j’avais 12, 13, 14 ans, et j’allais avec mon père sur les chemins.
Parfois, j’entendais sa voix, derrière ou devant moi, prodiguer quelques conseils sonores (dans le double espoir que je les entende et que j’en tienne compte) : « Change de braquet », « Freine », « Pousse sur les pédales »… Quand il y avait de la pente, il me recommandait de pédaler un peu, de façon à ce que mes muscles ne se refroidissent pas complètement. Quand certaines côtes m’impressionnaient ou me décourageaient, il était là pour me dire que s’il y arrivait, moi qui étais plus jeune j’y arriverais aussi sans aucun doute ! Jusqu’au jour où j’ai été trop grande pour mon vélo et trop occupée par de nouvelles activités pour continuer les sorties avec mon père. C’est ainsi que le flux de la vie se transforme en souvenirs.
Dans quel but vous raconter tout cela ? Vous allez bientôt le comprendre… Cet été, je suis partie à vélo pour une semaine de randonnée. Le troisième vélo de ma vie, c’est donc moi qui l’ai acheté, de mon plein grès, en vue de réaliser ce projet. Sur la route, comme vous pouvez l’imaginer, un millier de situations différentes se sont présentées : des passages difficiles, des efforts que je n’avais pas anticipés, des côtes qui m’ont impressionnée et parfois découragée, de longues pentes où il m’a fallu pédaler pour maintenir mes muscles échauffés… Je me suis rendu compte que dans nombre de ces cas de figure, les conseils de mon père me revenaient. Le contexte réactivait les souvenirs. Des souvenirs que je n’avais même pas conscience d’avoir ! Quand une voix nous est familière, on la reconnaît facilement, même si on ne l’a pas entendue depuis longtemps.
La voix du père, voilà une image qui parlera à beaucoup de chrétiens. C’est un peu la même idée qui s’exprime dans les histoires de la Bible mettant en scène « le bon berger ». Plus la voix de Dieu nous est familière, autrement dit plus nous avons saisi les occasions de la connaître, de l’entendre, d’en mesurer l’écho dans nos vies, mieux nous arrivons à la distinguer entre toutes au moment nous avons besoin d’un éclairage dans notre parcours de vie.
Pour ceux qui n’auraient pas eu une bonne expérience du père, et qu’un Dieu presque exclusivement présenté sous des traits masculins attire et sécurise peu, je tiens à rappeler que la Bible nous parle aussi de Dieu à travers de nombreuses images féminines. Une façon de nous dire qu’il a de quoi surprendre chacun de nous !... lire la suite
Je me suis longtemps demandée pourquoi le goût de l’effort était si peu naturel à l’être humain. Car l’effort, reconnaissons-lui cela, nous fait grandir et nous amène à nous découvrir. L’effort est aussi, tout simplement, une nécessité de la vie. L’existence nous demande à tous, un jour ou l’autre, de fournir un effort. Que ce soit à l’enfant qui apprend à marcher, à l’élève qui fait ses devoirs ou au sportif quel que soit son niveau. Pourquoi le goût de l’effort, si l’exercice est incontournable, ne nous est-il pas donné comme une seconde nature ?
Par définition, le mot « effort » implique en effet une volonté (physique, intellectuelle, morale) de résister ou de vaincre une résistance. Voilà bien une activité qui ne peut se faire du fond d’une chaise longue, une boisson fraîche à la main ! La difficulté, voire la douleur, qui caractérise l’effort donnerait-elle plus de saveur et d’intensité à nos victoires ? Serait-elle à l’origine de ce qui nous fait croître de l’intérieur quand, après avoir surmonté un obstacle, nous nous montrons si réjouis ?
Que nos auditeurs ne s’inquiètent pas, je ne tomberai pas dans des discours doloristes. Je n’ai jamais cru que la douleur puisse nous sauver de quoi que ce soit et je ne vois pas dans la souffrance une quelconque rédemption. En revanche, dans les situations et parfois les défis qui s’imposent à nous, je vois l’occasion de nous révéler. Certes avec nos failles et nos limites, mais aussi avec nos qualités, souvent des qualités insoupçonnées. La persévérance, meilleure alliée de l’effort, y contribue aussi.
J’ai réalisé cet été un parcours à vélo de plusieurs jours en solitaire. Je ne savais pas si je serais capable d’aller au bout de ce projet. Au cœur de l’effort, je me suis parfois demandé ce que je faisais là. Mon corps, englouti dans la peine, luttait contre le vent, et mon esprit n’était plus obsédé que par la douleur, logée ici ou là dans les profondeurs de mon anatomie. Pourtant, chaque soir, en reprenant ma carte pour calculer le chemin accompli, un étonnement joyeux me saisissait. Je retrouvais le sens de l’effort que j’avais fourni et que j’allais encore fournir le lendemain. Et il est bien évident que s’il n’y avait rien eu de tout cela, il n’y aurait rien d’intéressant à raconter.
Je ne vous dirai pas qu’il en est de même de la vie chrétienne, pour qui se lance dans l’aventure de la foi. Je ne le dirai pas car je regrette trop que ce que nous apprenons dans le monde physique, concret, ne soit pas si facilement transposable (autrement que par des images) au monde psychique ou spirituel. Mais le fait est que Jésus n’a jamais promis à ses disciples une vie facile et sans effort. Pourquoi, dès lors, le suivre plutôt que de rester au bord de sa piscine, à prendre le soleil ? J’avoue que (même si je peux répondre pour moi) je suis incapable de donner une réponse générale, universelle, à cette question. Mais je prendrai tout de même le risque d’affirmer que suivre le Christ est certainement l’un des meilleurs chemins vers soi-même.... lire la suite
« Tout va bien. » Cette phrase, nous nous entendons la dire alors que tout ne va pas forcément bien dans notre vie. Mais par souci de rester politiquement correct, par pudeur ou pour ménager notre interlocuteur, nous répondons à un banal « ça va ? » par un « tout va bien » que nous espérons convaincant à défaut d’être convaincu…
Affirmer que tout va bien peut aussi être ou devenir une croyance persistante, inébranlable. Ce n’est plus seulement une réponse de circonstance, c’est la toile de fond de notre vie. Maintenir que tout va bien quand tout va mal, ou du moins que tout ne va pas bien, n’est-ce pas une façon de conjurer le sort ? Une sorte de méthode Coué : en répétant et en continuant à prétendre que tout va bien, c’est faire en sorte que les choses continuent d’aller bien ou en tout cas d’aller tout court. C’est refuser de se laisser interpeller, refuser le changement, refuser l’inconnu. C’est aussi prendre le risque d’être un jour rattrapé par la réalité que nous cherchons précisément à fuir ou à maîtriser – ce qui peut revenir au même.
En 2006 sortait le film de Philippe Lioret, Je vais bien, ne t’en fais pas. Il racontait l’histoire d’une jeune fille recevant des lettres de son frère qu’elle aime tant et qui a quitté le domicile familial sans explication. Ces lettres se veulent réconfortantes et permettent à la jeune fille de surmonter le vide de l’absence. Jusqu’au jour où elle découvre que ce n’est qu’un simulacre, destiné à la rassurer. Un monde s’écroule.
La Bible est pleine de récits de personnages dont le monde s’écroule aussi parce que ce qu’ils ont toujours cru, ce qu’ils ont toujours eu, ce qu’ils ont toujours espéré disparaît. Parce que leurs rêves, leurs projections, leurs plans, leurs représentations des autres et de leur environnement s’évanouit. Comme Goliath ou Samson qui avaient l’habitude d’être systématiquement les plus forts. Comme Job, qui se retrouve en peu de temps injustement dépossédé de tout, y compris même de sa famille. Comme les disciples de Jésus qui pensaient qu’il était venu instaurer un royaume terrestre. Comme Naaman, qui a poursuivi son dessein d’extermination du peuple juif sans voir qu’il se condamnait lui-même. Comme Saphira, qui a pensé qu’elle pourrait tromper son église.
Qu’ils se tournent ou pas vers Dieu – et c’est peut-être cela le plus étonnant – tous ces personnages ont en commun de voir leur vie et l’idée qu’ils s’en faisaient englouties dans un destin tragique. Tragique, mais pas toujours fatal. Ceux qui s’accrochent à Dieu malgré les épreuves et reconnaissent leur fragilité, ceux qui ont le courage de reconnaître que décidément, non, tout ne va pas bien, s’en sortent. Job en est l’exemple même mais on pourrait aussi citer Élie, un prophète célèbre de l’Ancien Testament qui connaît une sévère phase de dépression et d’autres encore !
Parfois dans notre vie, tout ne va pas bien ; et persister à dire que c’est le cas peut n’être que le signe d’un mal-être plus profond encore. Quand nous sentons l’effondrement, il ne s’agit pas de continuer à dire que tout va bien. Plutôt de croire que la grâce de Dieu peut nous relever de nos ruines. Le chrétien n’est pas toujours épargné par le sort, il ne vit pas sa vie sous cloche, mais il a pour lui cette assurance qu’aucun effondrement n’arrivera à bout du projet que Dieu a pour lui.... lire la suite
Qu’est-ce qui fonde nos croyances ? Alors que la suspicion générale règne sur les médias mais aussi plus largement sur toutes les sources officielles d’information, je m’interroge... Comme un signe suprême d’esprit critique, on se tourne vers de nouveaux circuits de connaissance – qui ne sont bien souvent que les réseaux sociaux, soucieux de créer du buzz… On fait confiance à la parole de nos amis, injectant – inconsciemment, bien sûr – de l’affectif alors qu’on reproche toujours à l’information de n’être pas assez objective.
La première fake news de l’histoire – selon la Bible – montre l’ancienneté de toutes ces questions. Elle se trouve dans le livre de la Genèse, lorsqu’Eve dialogue avec le serpent (Genèse 3.1-7). Vous savez, ce fameux moment où la femme finit par croquer dans le fruit ? Mais d’abord, le serpent instille le doute. Dieu a donné une règle à Adam et Eve : Vous pouvez manger de tous les fruits du jardin, excepté de celui d’un seul arbre (l’arbre de la connaissance du bien et du mal). Le serpent va commencer par remettre en cause cette règle : « Dieu a-t-il réellement dit… ? » Comme Eve se souvient parfaitement de ce que Dieu a dit, le serpent contre-attaque en contestant les conséquences. Selon lui, contrairement à ce que Dieu a dit, Eve et Adam ne vont pas mourir s’ils mangent du fruit défendu. Au contraire, leurs yeux vont s’ouvrir et ils vont devenir comme des dieux ! La suite montrera que si le couple n’est pas mort sur le coup, il est désormais voué à la finitude et la connaissance à laquelle il accède lui apporte surtout beaucoup de malheur. Du vrai et du faux se mélangent pour créer la parfaite fake news !
Rappelons que « fake » (dans « fake news ») c’est l’idée d’imitation, de contrefaçon. Ce qui suppose l’intention de tromper. Or n’était-ce pas ce que cherchait à faire le serpent ? Et Dieu, quelles sont ses intentions à notre égard ? Par extension, quelles sont les intentions à ceux à qui nous accordons de l’attention et du crédit ? Sommes-nous certains que nous ne nous attachons pas qu’à des discours qui nous disent ce que nous voulons entendre ?
Car nos croyances ne se construisent jamais sur un terrain vierge. Notre culture, notre éducation, notre expérience mais aussi nos désirs les plus cachés nous influencent. Eve a eu le temps d’observer que le fruit est beau et il lui semble bon. A cela le serpent ajoute qu’il apporte de la connaissance. Mais Eve semble déjà sensible à l’attrait du fruit. Le serpent ne ferait alors que la conforter dans son désir, amollissant son sens critique en lui disant ce qu’elle a envie d’entendre.
Les mêmes penchants traversent, encore aujourd’hui, notre nature humaine. Et le parallèle avec les fake news montre que les défis demeurent inchangés : l’importance de ce que nous croyons a toujours autant de conséquences et s’informer sur ce qui est juste et bon réclame temps et investissement. Dans un monde où l’information est aussi foisonnante que nos agendas sont remplis, on est tenté de faire l’économie de la vérification, du recoupement et de la quête d’indices. Pourtant, ce n’est qu’à ce prix que nous pouvons préserver un capital intellectuel et spirituel qui nous aidera à éviter les impasses de l’existence.... lire la suite
C’est un conte qui a tout de vrai ! Mon premier personnage est une dame. Elle a 79 ans, et une enfance qui remonte aux années 1940-1950. En ce temps-là, les mineurs avaient moins de droits que de devoirs. Leur avis importait peu, leur parole n’avait pas vraiment de valeur. L’important étant qu’ils obéissent. Quand on est presque octogénaire et qu’on a vécu en France, on a connu la guerre, ses risques, ses privations. La vie quotidienne s’en trouve taillée dans l’étoffe de la sobriété, honnissant le manque, bannissant le gaspillage. Là-dessus, le XXIe siècle et les leçons tirées d’une consommation outrancière nous ont appris à chérir notre capital santé, à équilibrer nos repas, à manger cinq fruits et légumes par jour et à faire du sport. Autant de modes désormais ordinaires.
Mon second personnage est un réfugié africain de 17 ans. Dans son pays d’origine, ceux qui auraient dû l’éduquer, le soigner, le protéger n’ont pas été ou n’ont pas pu être là pour lui. Il a fallu travailler très tôt, apprendre à encaisser les coups beaucoup plus tôt encore, fuguer pour les éviter, espérer trouver de l’embauche à la ville et finalement, revenir dans ce chez soi qui n’a rien de douillet ni de sécurisant parce que, décidément, l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Précocement, l’enfant a fait le tour de ses forces, exploré ses limites et sait qu’il ne peut compter que sur lui. Son indépendance ? Il ne l’échangerait pour rien au monde ! Elle est devenue son or quotidien, à défaut du pain.
La générosité, la droiture, la confiance ont amenés la grand-mère et le jeune garçon à vivre sous le même toit. La première a ouvert sa porte au second. Mais la promiscuité rend toujours plus complexes des rapports mêmes bien cadrés. Le jeune se demande pourquoi devoir sans cesse justifier ses horaires ? Accepter de manger jusqu’à la dernière goutte une soupe qui, paraît-il, fait du bien mais dont le goût demeure, cuillerée après cuillerée, étrange et étranger ? Pourquoi ne pas acheter ces tomates si juteuses juste parce qu’on est en janvier alors que les étals en proposent toute l’année ? La vieille dame, quant à elle, s’inquiète : pourquoi ne raconte-t-il rien de lui alors que je l’invite à le faire ? Pourquoi semble-t-il si rebelle, enclin à faire les choses par lui-même, quand je me soucie tant de son état ? Chaque protagoniste considère son attitude comme normale.
L’un a-t-il plutôt tort et l’autre plutôt raison, ou chacun n’est-il capable d’agir que dans la perspective que lui donne son histoire, sa vie, son éducation, les événements qu’il a connus ? Pourtant, à moins d’être parallèles (ce qui n’est pas le cas ici !), les trajectoires peuvent toujours se croiser. C’est l’amour, qui s’est exprimé au travers d’un accueil généreux et de son humble acceptation, qui a permis ce rapprochement. Faire vivre au jour le jour ce lien qui nous permet de rester proches d’autrui sans abdiquer notre dignité et sans piétiner la sienne, voilà un défi auquel nous sommes tous confrontés. Pour le relever, il faut avoir une bonne raison de transcender nos plus étroites appartenances et de baisser notre garde. Cette grand-mère et ce jeune africain ont en commun un Dieu qui les dépasse. Leur relation me rappelle où puiser l’amour suffisant pour inventer une façon d’être, de vivre ou de travailler ensemble qui ne soit ni un rapport de force ni de la faiblesse. ... lire la suite
Après 25 ans de prison, la Cour d'appel de Bourges a accepté la demande de remise en liberté de Jean-Claude Romand. Pour mettre fin à une vie d’imposture et de mensonges, l’homme avait tué cinq membres de sa famille en 1993 et avait vraisemblablement le projet de se suicider ensuite. Un ultime geste qu’il n’accomplira finalement pas. En prison, selon le témoignage des aumôniers qui l’ont régulièrement visité au cours de ces longues années, il s’est converti à la foi chrétienne. Peut-on croire à la rédemption d’un meurtrier ? Une autre vie peut-elle s’ouvrir à lui ?
Changer de vie. Sans passer par la case prison, c’est un rêve, une aspiration, une espérance qui peut un jour attirer beaucoup d’entre nous, de l’effleurement à l’obsession. Mais peut-on réellement entamer une nouvelle vie comme on entame nouveau livre, ou n’écrivons-nous jamais qu’un chapitre supplémentaire, dans la continuité du passé ? Cette nouvelle vie peut-elle être complètement déconnecter de la précédente ?
Dans ce cas, dès qu’une vie ne nous convient plus, nous pourrions faire peau neuve et renaître, tel un phénix, dans un autre univers. Comme si ce n’était plus la même personne qui habitait la durée de cette existence terrestre qu’on ne peut pourtant pas fragmenter… C’est bien le même corps qui continue de vivre. Qui porte peut-être même, et pour longtemps, les stigmates, les marques de son histoire. Une histoire qui n’appartient qu’à lui et qui a contribué à le façonner.
Alors cette nouvelle vie est-elle impossible à trouver ? Une illusion ? Une fiction ? Les évangiles ne manquent pas d’ambition quand ils annoncent que cette nouvelle vie est déjà possible ici et maintenant ! Est-ce une fake news ? Une déception de plus ? Les témoignages ne manquent pourtant pas pour prouver qu’il est possible de changer du tout au tout : de Zaché le collabo, percepteur d’impôts corrompu, à la Samaritaine, à la vie affective malheureuse et dont le statut social est peut-être un des plus précaires, la Bible déploie plusieurs exemples de vies renversées et renversantes grâce au Christ, qui est au cœur de ces récits.
C’est vrai. Mais on ne parle pas tout à fait de nouvelle vie, si on y regarde de plus près. C’est bien plus que cela ! C’est plus que cela parce que le Christ reçoit chaque personne, nous reçoit tels que nous sommes au moment où nous nous présentons. Il nous accepte avec notre passé, notre passif. Il ne vient pas créer encore plus de rupture dans notre vie mais il vient suturer nos déchirures, pacifier nos blessures, donner du sens à notre présent. Alors nous pouvons imaginer un avenir différent, infléchir les événements en cours. En Jésus, nos fragments de vie sont réunis, relus par des yeux neufs, retravaillés, potentiellement couturés, par le pardon et la grâce. Celui que nous étions hier n’a pas disparu mais il n’empêche plus à celui d’aujourd’hui d’être et d’advenir encore jour après jour.
Ce n’est pas une vie vierge de toutes les expériences passées qui s’offre à nous mais une voie dégagée pour que les histoires les plus tristes, les plus violentes, les plus injustes cessent de se répéter. En ce sens, l’Évangile ne propose pas une nouvelle vie – une de plus, où nos efforts courent le même risque de rester vains ; où notre fragilité, notre faiblesse, notre incapacité menacent à tout instant d’anéantir l’espoir qui vient de luire. Non, l’évangile ne propose pas une nouvelle vie mais une vie nouvelle. Une vie rafraîchie, vivifiée, remise en perspective.... lire la suite
« Tant qu’un homme n’a pas découvert quelque chose pour lequel il serait prêt à mourir, il n’est pas à même de vivre », écrivait Martin Luther King, leader de la lutte pour les droits civiques des noirs aux États-Unis, dans les années 60. Vivre et mourir, voilà réunies dans la même phrase deux grandes préoccupations humaines. Entre chaque extrémité : notre naissance d’un côté et notre mort de l’autre, nous voilà livrés à nous-mêmes, en quête d’un sens à donner à cette existence – ce cadeau que nous n’avons pas réclamé et qui nous est pourtant si précieux !
Mais comment produire du sens ? L’individu peut-il, à lui seul et par ses propres forces, injecter du sens dans sa vie ? Comme s’il avait une petite seringue de botox et dès que l’élan faiblit, hop, il s’auto-administrerait une petite piqûre pour tout regonfler ! Certes, face au manque de sens, une première option peut consister à rester tourné vers soi, à rechercher son propre bien être, à se tourner vers des choses et des gens tant qu’ils satisfont nos désirs, nos envies… Cette solution se rapproche plus, à mes yeux, de la résignation que d’une dynamique porteuse de vie.
Quand Martin Luther King parle d’une cause pour laquelle on est prêt à mourir, il ne parle pas de nos petits égoïsmes et de nos petits arrangements. Qui serait prêt à mourir pour cela ? Ceux qui se battent pour entretenir leurs richesses matérielles luttent pour bien plus que quelques voitures de luxe, le dernier modèle de jacuzzi installé dans leur immense salle de bain ou leur résidence préférée dans je ne sais quel pays exotique. Ils luttent pour leur image (auprès de leur entourage, aux yeux du monde entier quand ils sont médiatisés), pour l’empire économique qu’ils ont construit ; ils luttent pour entretenir le monde dans lequel ils ont toujours eu l’habitude d’évoluer, peut-être en pilote automatique parce qu’ils sont tout simplement incapables de produire du neuf…
Bref, avoir dans sa vie une chose – une personne, une cause – qui nous tient tellement à cœur qu’on pourrait mourir pour elle, c’est trouver le moteur qui va nous faire avancer avec ferveur, avec passion, et pas seulement par habitude ou parce que nous n’avons pas assez d’imagination, de ressources pour croire que la vie puisse être autrement que comme elle a toujours été. C’est alors que, pour Martin Luther King, on entre dans la vraie vie. Peut-être même, où on devient digne de cette vie qui nous est offerte… Parce qu’on ne va pas gaspiller le temps que nous avons en cadeau à simplement attendre qu’il passe…
Nous ne trouvons pas cette chose, ce moteur, cette dynamique porteuse de sens en nous tournant vers nous-mêmes. Nous avons besoin de tester, explorer, rencontrer, découvrir pour enfin choisir l’espérance, la motivation qui nous portera vers l’avant. Choisir : voilà bien le maître mot ! Mais que choisissons-nous vraiment quand nous venons de tel ou tel contexte social, familiale, culturel, religieux ? Les djihadistes aussi, d’après les récits que je connais, sont convaincus de choisir une cause à la hauteur de la vie juste qu’ils veulent mener ! Hélas, ils ne sont pas seulement prêts à mourir pour leur objectif mais leur objectif semble être la mort elle-même…
Le christianisme aussi nous invite à nous engager sur le terrain, et radicalement s’il le faut, en faveur de l’accueil du prochain, de la préservation de la planète, de la justice sociale. Il y a 2000 ans, Jésus a ouvert ce chemin de vie qui n’a rien perdu de sa pertinence aujourd’hui !... lire la suite
Un matin, un sortant de la gare pour aller au travail, mes yeux sont happés par cette vision. Un homme en slip erre sous la pluie, mouillé et crasseux comme le misérable duvet dont il tente de se couvrir.
Comment dans mon pays, la France, un pays riche, ce genre de situation est-elle possible ? Comment un homme, fut-il un migrant, peut-il se retrouver à faire la manche à moitié nu sous l’averse ?
Depuis cet épisode, l’image de cet homme concentre en elle celle de tous les clochards que je peux croiser et qui, blancs, noirs, roms, jeunes, vieux… sont contraints de laisser de côté leur dignité pour battre le pavé à la recherche de celle ou de celui qui aura pitié d’eux. Certes, parmi eux se trouvent peut-être des menteurs, des acteurs qui voudraient profiter du système. Mais je pars du principe qu’on ne joue pas la comédie de la pauvreté par plaisir ni si on a d’autres solutions pour subvenir à ses besoins.
Car dans le fond, il y a bien des besoins… Peut-être pas celui d’argent, peut-être même pas celui de nourriture. Mais nous ne savons pas les capter à cause de la distance qui nous sépare de cet autre. On veut bien aider, à la rigueur, mais pas s’identifier à cette personne, assise par terre, qui ne sent pas bon ou qui a l’air de ne pas être très stable dans sa tête. La solidarité a ses limites ! Et cela nous fait passer à côté de l’essentiel…
Je repense alors aux disciples qui, dans les évangiles, ne peuvent éviter le mendiant qui réclame l’aumône à l’entrée du temple, où ils se rendent justement. Pierre n’a pas d’argent. Comme vous, comme moi, comme nous. Ou si j’ai de l’argent, je ne peux pas donner systématiquement. Et pourquoi à l’un et pas à l’autre ? Le paramètre argent ne résout pas tout.
Mais Pierre ne détourne pas pour autant le regard. Surtout, il reste ouvert à ce dont a besoin, au fond de lui, cet infirme qui mendie : la guérison ! Les premières fois où je me suis intéressée à ce verset, je me suis alarmée. Vous n’avez pas d’argent à donner aux pauvres, eh bien guérissez-les de leurs éventuelles maladies ou infirmités ! Ben voyons… Dieu aurait-il perdu la tête ? Si la seule alternative que propose l’évangile est une guérison miraculeuse, je crois que je vais m’en tenir à l’aumône, cela me semble plus abordable !
Mais à la réflexion, la guérison n’est qu’un exemple et non une injonction, l’étape ultime d’un processus qui n’impacte pas que la personne dans le besoin, mais aussi celle qui donne. Pourquoi ne pas imaginer d’autres propositions sur le même mode que Pierre : Je n’ai pas d’argent mais ce que j’ai, je te le donne ! C’est là qu’il dit au mendiant : Lève-toi et marche. Et moi, qu’ai-je à donner d’autre qui ne soit pas de l’argent ? Peut-on partir du principe que nous avons tous quelque chose à donner qui ne soit pas de l’ordre du matériel ? Pour ma part, je le crois. C’est à nous de trouver cette ressource, parfois cachée.
Si on peut donner l’aumône pour paraître bon aux yeux des hommes et de Dieu ; si on peut donner de l’argent sans y mettre de cœur, ce texte nous fait revenir à notre humanité. « Ce que j’ai, je te le donne » : quand on veut faire sienne cette phrase, on ne peut plus se contenter des apparences. Un travail en nous commence, qui est peut-être bien aussi le but de la charité.... lire la suite
« Un semeur sortit pour semer sa semence. » Cette première phrase de la parabole du semeur, dans l’évangile de Luc (Luc 8.5), m’a longtemps laissée perplexe. On commence par nous parler d’un semeur, ce qui nous laisse déjà présager de son activité. Pourtant, celle-ci nous est rappelée : un semeur s’attèle à la tâche et quelle tâche ? Semer. Que sème-t-il ? S’il faut le préciser, c’est qu’il répand sans doute une semence inédite, que le récit recèle quelque chose d’inattendu… Eh bien non, ce semeur sème sa semence. De quoi nous faire dire qu’il s’agit d’une histoire sans surprise ! Quel est donc l’intérêt ? Quel est l’intérêt de répéter trois fois l’idée de semer ?
Cette interrogation m’a poussée à m’intéresser au seul mot qui ne contient pas ce sens dans la phrase : le verbe sortir. Là encore, on pourrait objecter qu’il enfonce une porte ouverte. Qui sème en étant à l’intérieur ? Il faut bien sortir pour cela, se rendre au champ, qui est le lieu de travail par excellence du semeur, si ce n’est le seul. C’est alors que notre semeur se révèle moins banal et moins ordinaire qu’on l’aurait cru jusque-là. En effet, il ne se contente pas de répandre le grain dans son champ, il sort des sentiers battus (si on peut dire) pour semer jusque sur le bas-côté de la route, dans les cailloux et les épines.
Est-il fou pour agir ainsi ? Le grain ne coûte-t-il pas assez cher pour le gaspiller de cette façon ? Ou peut-être notre homme a-t-il envie de voir si du grain peut pousser en des lieux aussi inhospitaliers que non conventionnels, comme ça, pour s’amuser… Un original, en somme ! Certes, il s’engage au-delà du nécessaire et même du raisonnable. Mais dans la libéralité de son geste, on découvre aussi sa liberté. Oui, généreux, il distribue sa semence sans compter autour de lui. Il ne ménage pas sa peine. Il sort pour semer, et non seulement il sort de chez lui pour aller jusqu’à son champ mais il sort de ses habitudes, de son confort, de ce qu’il a toujours vu faire à son père et à son grand-père pour déplacer les limites et donner sa chance au grain au-delà de ses sillons. Qu’importe que la chance soit mince de voir pousser des épis dans le fossé ou la pierraille.
Il y a dans cette attitude un peu de celle de Dieu envers nous : il n’y a pas de mauvais élève qui n’ait pas eu sa chance. Comme lui, nous sommes invités à sortir de nos territoires habituels pour rencontrer, partager, devenir… Pas de contact avec l’autre si nous restons dans la facilité de l’entre-soi, le confort de ce que nous connaissons déjà ! En tant qu’humains, et a fortiori en tant que chrétiens, en tant qu’église, la Bible nous appelle à vivre cette expérience. C’est plus qu’une journée portes ouvertes. Il s’agit de passer un cap, d’oser aller vers l’autre, qui est différent, sans se demander si le jeu en vaut la chandelle mais dans une attitude généreuse et désintéressée qui n’a rien de raisonnable ni de conventionnel.... lire la suite
De retour d’un voyage à l’étranger, les mots tournent et virevoltent dans ma tête en plusieurs langues. Passer de l’anglais au russe, du russe à l’anglais, saisir quelques mots de polonais et de suédois avec mes interlocuteurs… C’est passionnant mais c’est aussi fatiguant et au moment de fermer les yeux pour trouver le repos, mon esprit est saturé de phrases, de sons étrangers qui me tiennent en éveil.
Je me rappelle d’avoir parfois vécu la même chose sur un plan plus émotionnel. Le fait d’être traversé par des sentiments différents, parfois opposés, ne crée pas seulement des dilemmes en nous mais une sorte de confusion qui fait qu’on ne perçoit plus clairement aucun chemin. Le manque de recul n’aide pas. Par exemple, pourquoi poursuivre telle ou telle relation ? Qu’est-ce qui m’y pousse ? Dans quelle mesure est-ce ma crainte de la solitude ? La pression que l’autre exerce sur moi ? La représentation que je me fais de ce que Dieu attend de moi ? Cela est particulièrement vrai pour une relation amoureuse, qui implique des sentiments forts et un possible projet de vie, mais c’est aussi valable de manière générale pour toutes les relations avec autrui qui exercent une influence sur nous.
Dans les moments où une grande décision est à prendre, a fortiori si c’est urgent, il peut être difficile de faire la part des choses entre l’envie de faire plaisir ou au contraire de se libérer des attentes de l’autre vis-à-vis de soi ; l’ambition de carrière et le développement naturel de ses capacités ; la chance d’une opportunité qui ne se représentera pas et le respect de l’autre, qui subira les répercussions de mon choix. Prendre de la distance, peser chaque conséquence… nous n’apprenons pas cela à l’école et même si nous avons reçu une « bonne » éducation, c’est sur le terrain de la vie que nous sommes directement éprouvés.
Je ne pense pas qu’il y ait en nous une seule voix, claire et indépendante, qu’il suffirait de déceler en notre for intérieur pour savoir quelle voie suivre. Cela peut arriver et certains appelleront cela la conscience mais ce n’est pas toujours si transparent, pour la bonne et simple raison que dans certaines situations, plusieurs options peuvent fonctionner. Et quoi qu’il en soit, ce sera toujours au décideur d’assumer sa décision.
En revanche, je crois que la voix de Dieu peut se faire entendre malgré la polyphonie confuse qui nous habite. Et cette voix peut nous servir de point de référence pour évaluer la portée de nos décisions. Ce n’est pas une voix qui nous oblige. Elle nous aide au contraire à mettre en perspectives nos actions pour choisir plus librement. Mais pour l’entendre, il faut du temps, du silence, de la patience et une véritable sincérité. Plus nous aurons pris l’habitude d’écouter cette voix dans les moments de calme, plus il nous sera facile de la reconnaître dans la tempête. On aura peut-être toujours l’impression de naviguer à vue, mais le résultat sera moins incertain !
Ce que Dieu nous dit, notamment à travers la lecture de la Bible, peut devenir comme notre langue natale. Celle qui, malgré la fatigue, la saturation des émotions et des sollicitations, revient toujours, inexorablement, à notre mémoire ! C’est à nous de cultiver cette connaissance, ce lien primordial avec la voix de Dieu pour que petit à petit, nous sachions la distinguer entre toutes.... lire la suite
La religion est souvent perçue – et pas toujours à tort – comme un carcan dont l’être humain ne devrait qu’aspirer à se défaire. Avec son histoire empreinte de dolorisme et d’obscurantisme, le christianisme n’échappe pas à la critique. Dans une société où l’Église n’est plus la référence qu’elle a été pendant des siècles ; où les mœurs se sont libéralisées et où la technologie, les voyages, les rencontres faciles offrent de nouvelles et multiples expériences, la religion, elle, est synonyme de conservatisme, de dogme, d’assujettissement à une injonction morale. Une morale dépassée, qui ne se justifie plus, dont on peine à percevoir le sens.
Ce point de vue, je le comprends et à la fois m’en étonne. Je le comprends parce que franchement, on ne peut pas dire que le christianisme ait de tout temps montré un visage rayonnant et une joie de vivre communicative. Aujourd’hui encore, même si c’est moins visible, il comporte des courants rigoristes. L’évolution de l’histoire du christianisme mérite néanmoins que nous ne restions pas attachés à des clichés.
D’autre part, certes, dans la Bible et surtout l’Ancien Testament, Dieu indique au peuple qu’il a choisi pour porter son message (le peuple juif) un certain nombre de commandements à observer. Ces lois le distinguent des autres peuples. Elles concernent tous les domaines de la vie : les relations au sein du couple, de la famille, de la société ; la règlementation du service du culte ; la façon dont doivent être gérés la propriété privée et l’héritage, ou encore les terres agricoles, etc.
Mais le christianisme – et c’est là que je veux en venir – c’est aussi Jésus marchant sur les eaux et autres miracles ! Or, on ne peut pas dire qu’un Christ qui ressuscite Lazare ou qui dompte la tempête de sa voix ne transgresse aucune règle… C’est lui, aussi, qui prend le parti d’abattre un cloisonnement social étanche entre hommes et femmes, entre gens bien et gens de mauvaise vie, entre juifs et non juifs. Jésus transgresse, il donne l’exemple d’un homme libre et entretient à ce titre un dialogue tendu avec les intellectuels religieux de son époque. En ce sens, le christianisme n’est pas autre chose qu’une invitation à franchir les limites !
En réalité, la foi chrétienne n’est pas une somme d’interdits et d’obligations. Bien sûr, vous pouvez la vivre de cette façon ou trouver des gens qui la vivent de cette façon. Mais le message biblique ne s’est jamais résumé à une morale, à des contraintes, à des normes. Simplement, les limites que cette foi nous invite à franchir ne sont peut-être pas les limites auxquelles nous penserions spontanément.
Défier les lois de la physique au service de la parole de Dieu, sortir de son confort pour s’indigner de l’injustice, arriver à transmettre l’espérance là où tout semble perdu, oser un discours d’accueil radical quand la moitié de l’Europe rêve de maîtriser l’immigration... Cela implique de s’engager pour son prochain plutôt que de regarder à soi-même. C’est sûr, ce n’est pas évident, mais voilà une aventure qui n’a rien d’une routine religieuse imprégnée de règles, de conservatisme et de légalisme ! Sommes-nous seulement prêts à essayer ?... lire la suite
Faire d’un camarade sa tête de turc, railler avec mépris une personne sur les réseaux sociaux, s’en prendre violemment à une star… L’art de la détestation est aussi vieux que le monde ! Ce qui est nouveau, c’est que cette pratique a désormais un nom venu de l’anglais : le hating. C’est qu’elle est devenue une tendance, on pourrait presque dire une mode. Ses adeptes sont les haters, des personnes qui font profession de haine et agressent des cibles précisément identifiées.
La première fois que j’ai entendu le mot de « hater », c’était pour désigner l’anti-fan club de Bilal Hassani, le chanteur qui représentera la France à l’Eurovision. Son appartenance queer – vous savez, cette minorité sexuelle qu’on retrouve désormais au bout du sigle LGBTQ (pour Lesbian gay bi trans queer) – n’est pas du goût de tout le monde. Certes, on peut estimer que tous les modes de vie ne se valent pas. C’est une chose difficile à dire tant la violence dont sont parfois victimes ces personnes appelle un positionnement radical en faveur du respect de l’humain. Un respect dû à toute personne indépendamment de sa couleur de peau, de son orientation sexuelle ou de toute autre différence.
Mais la question n’est pas tant de savoir ce qu’il faut penser des minorités sexuelles. Peut-être rien, surtout si personne ne nous demande notre avis ? Ce qui m’interpelle aujourd’hui, c’est notre réaction face à la différence, celle qui me dérange, celle qui me déplace, celle que je ne peux ignorer. Et je dirais que toute différence, de quelque nature qu’elle soit, me dérange avant de devenir, éventuellement, une richesse. Aussi, j’aimerais préciser que toute grande que soit l’ouverture d’esprit de certains, elle se heurtera tôt ou tard à ses limites. Si vous n’êtes pas choqués par les choix de vie des uns ou des autres, vous le serez très probablement par d’autres façons de faire, de parler, d’agir. Et puis… ne sommes-nous pas, tous, le différent de quelqu’un d’autre… ?
Jusqu’où sommes-nous prêts à accepter la différence de l’autre ? Que faisons-nous de l’irritation que provoque une différence dérangeante ? Comment gérons-nous les tensions qui se font jour en notre for intérieur ? Est-il possible de dépasser nos jugements non pour tout accepter mais pour accepter l’autre tel qu’il est ? Ce sont déjà les questions auxquelles un homme, né à Bethléem il y a 2000 ans, a répondu. Face à la femme Samaritaine à la vie affective déboussolée, avec Zaché le corrompu et même devant Judas le traitre, Jésus a préservé une capacité d’accueil inconditionnel. Il n’a jamais applaudi à ce que ces personnes ont fait, mais il n’a pas non plus réduit le message de l’évangile à une morale. Son ambition était à la fois bien plus exigeante et bien plus simple : libérer ! Et avec Jésus, tout commence par l’écoute, prendre le temps de connaître, d’aimer. Dans l’espace qu’ouvre cette attitude, alors peut-être la rencontre peut-elle avoir lieu. Celle qui donnera éventuellement envie à l’autre d’aller plus loin avec Dieu et celle qui me transformera aussi pour toujours.... lire la suite
Il arrive que des questions métaphysiques s’invitent dans les dîners. Ainsi me suis-je récemment retrouvée entre deux amies débattant ardument de ce qu’était la « vraie vie ». La première habite dans un quartier malfamé. Elle est inquiète de l’influence que cela peut avoir sur ses enfants. La seconde argue qu’il ne faut pas surprotéger ses enfants et accepter qu’ils soient un jour ou l’autre confrontés à des difficultés. Voilà la « vraie vie », paraît-il.
Cette idée m’a d’abord fait sourire. S’il y a une vraie vie, alors il en existe aussi une fausse. Et qu’est-ce que la « fausse vie » ? De la définition que mes amies donnent de la vraie vie, je déduis que la fausse vie serait une vie où on évite les obstacles, où on n’a jamais de problème et où on ne sait pas ce qu’est la souffrance. Mais… avouons que nous sommes nombreux à rêver d’une telle vie ! Aussi, quand j’entends quelqu’un dire qu’il faut de tout pour faire un monde, j’ai plutôt tendance à m’empresser de rappeler que, pour ma part, je me passerais bien volontiers des maladies, des accidents, de la pauvreté et de la bêtise.
Il y aurait donc une vraie vie, qui se confronterait courageusement aux éléments, et une fausse vie, étouffée dans la ouate moelleuse du confort, de la richesse, de l’ignorance. Peu de parcours se déroulent pourtant en ligne droite, et ce quel que soit le milieu dont on est issu ! Et même s’il est certain qu’il est des situations plus enviables que d’autres...
Je me suis alors demandé ce que je considérais, moi, comme la « vraie vie ». J’habite un quartier tranquille et n’éprouve pas le besoin de déménager dans une banlieue dite sensible pour goûter à cette « vraie vie ». Où que l’on soit, les vicissitudes de l’existence savent nous trouver – et si elles vous cherchent en vain, alors tant mieux ! Personnellement, je trouverais parfaite une vie sans violence, sans douleur, sans obstacle… Pourtant, quelque chose du discours de mes amies continue à résonner en moi : est-ce vraiment vivre que d’être voué à une destinée lisse, sans aventure, sans imprévu, sans dérangement ? Pour autant, je ne puis me résoudre à penser qu’on existe « vraiment » dans les épreuves !
Qu’est-ce qui peut donc faire la saveur d’une vie vraie, authentique, riche, qui nous fait grandir de l’intérieur et ouvre sans cesse des perspectives nouvelles ? A celui qui croit, Dieu propose une éternité sans aucune forme de mal mais aussi sans ennui. Ce qui me fait croire cela, c’est que la vie éternelle que nous décrit la Bible n’est pas centrée sur l’individu mais sur la relation à l’autre, voire au Tout autre qui est Dieu. En ce sens, la « vraie vie » serait une vie qui sait accueillir la différence – celle de mon prochain, de mon voisin, de mon ami ou de celui que je ne connais pas encore. La vraie vie, c’est pour moi une vie qui cherche à construire quelque chose à partir de ce que cette différence produit en moi. La vraie vie serait alors tissée de toutes les relations que nous entretenons avec les autres. Et plus ces relations sont vraies, plus notre vie l’est aussi !... lire la suite
Dans la Bible, Dieu se présente comme le Dieu du milieu : dans au moins une trentaine de passages, il affirme au peuple d’Israël ou à ses disciples qu’il est au milieu d’eux. Il ne se présente pas comme supérieur ni comme inférieur, il ne se présente pas comme celui qui précède ou celui qui suit, mais simplement celui qui est et qui est « au milieu ». Comment comprendre cette image ?
Je pense à un épisode de la Bible, celui où Dieu se manifeste à Moïse par un buissons ardent, un buisson qui brûle sans se consumer. Ce n’est pas sans rapport avec notre question puisqu’il s’agit bien de la présence de Dieu. Et le texte précise bien que la flamme se situe au milieu du buisson. Ce n’est pas la pointe d’une petite feuille, sur le bord, qui brûle, c’est le cœur du buisson. Ce qui me fait dire que c’est de la même manière que Dieu souhaite être présent dans nos vies : il veut être au cœur. Sommes-nous d’accord ? En avons-nous envie ?
Il y a plusieurs façons de percevoir ce qui est au milieu. Un de mes amis a acheté et entièrement retapé un appartement. Une large ouverture dépourvue de porte permet d’accéder au salon. Seul inconvénient : une poutre verticale barre cette ouverture aux deux-tiers. Il a bien songé à l’abattre mais cela aurait trop fragilisé l’ensemble… La poutre est donc restée à sa place, gênante au quotidien. Dans les premiers temps, mon ami ne pensait qu’à ça et ne voyait que ça : ce morceau de bois potentiellement en travers du chemin ! Est-ce de cette façon que nous voyons Dieu au milieu de notre vie ?
Au bout de quelques semaines et enfin de quelques mois, mon ami s’est habitué à la fameuse poutre. Si bien qu’il ne la voyait même plus ! Elle était devenue invisible tellement elle faisait partie du décor, et lui s’était habitué à évoluer dans l’espace en tenant compte de sa présence. Finalement d’indésirable, elle était passée à inaperçue. Certaines choses nous deviennent tellement familières, tellement normale qu’on n’y prête plus aucune attention ! En est-il de même de Dieu dans notre vie : présent-absent faute de temps et d’énergie à lui consacrer ? Et nous nous demandons où il est alors qu’il est sous nos yeux…
C’est à nous de décider comment nous voulons accueillir cette présence et si nous voulons l’accueillir. En tout cas, si Dieu a choisi le milieu, ce n’est ni un hasard ni parce qu’il veut s’imposer. Être au milieu, c’est se tenir à équidistance de chacun, sans élitisme et sans privilège pour l’un ou pour l’autre. C’est aussi une façon d’être au centre et non en tête d’une liste de priorités dont la hiérarchisation changera au premier imprévu. Il est si facilement d’inverser l’ordre des priorités quand une urgence survient ! Mais ce qui est au centre ne peut être déplacé, sous peine de fragiliser l’équilibre.
Oui, Dieu est notre refuge au temps de la détresse mais il nous propose d’être beaucoup plus que cela ! Pas seulement une maison de campagne où on fuit le stress et les difficultés de la vie. Il veut être notre résidence principale, une maison où il fait bon vivre toute l’année, quelles que soient les circonstances et les humeurs. Cette maison, il ne peut que nous inviter à en prendre possession, nous n’y sommes pas forcés. C’est à nous de choisir : voulons-nous que Dieu soit au milieu de notre vie et faire de lui notre résidence principale ? ... lire la suite
La grogne des gilets jaunes ; plus loin de nous, au Japon, l’incarcération de Carlos Ghosne, le PDG de Renault-Nissan qui a omis de déclarer une bonne partie de ses revenus ; l’élection d’Emmanuel Macron comme président d’une République qui se veut exemplaire… L’actualité est pleine de cette question qui n’est jamais posée : qui est intègre ? qui peut être considéré comme juste ? qui peut imposer une justice sociale ?
L’intégrité, c’est, selon le dictionnaire Larousse, la « qualité de quelqu'un, de son comportement, d'une institution qui est intègre, honnête ». Peu d’entre nous n’ont pas envie d’être considéré comme une personne de qualité, une personne dont le comportement mérite d’être porté en exemple. Pourtant, nombreuses sont les situations qui illustrent le manque d’intégrité autour de nous…
C’est que l’intégrité coûte. Et c’est peut-être ce qui la caractérise, n’en déplaise aux dictionnaires qui se contentent d’en donner une définition objective un peu sèche. Mais l’intégrité ne devient l’intégrité que parce qu’elle se démarque du mensonge et de la corruption qui l’entourent. On ne souligne pas l’intégrité d’une personne qui ne ferait que suivre les standards appliqués partout dans son entreprise, par exemple. Ce n’est pas être intègre que de ne pas voler quand personne ne vole. C’est simplement se conformer à la culture du moment – culture de l’honnêteté, certes. Mais ne pas voler quand c’est la pratique générale et que tout y incite, cela fait entrer dans une autre dimension. C’est là, à mon sens, que commence l’intégrité.
L’intégrité est donc une forme de résistance, à un degré plus ou moins élevé. Ce qui me fait dire qu’on ne naît pas intègre, mais qu’on peut le devenir. On le devient à force de nos choix, de nos ambitions, de la vision de l’existence qu’on nourrit. Tous ces choix ont un coût. Un jour où l’autre, nous savons que nous pouvons nous retrouver dans la position du lanceur d’alerte, pour une petite chose ou pour une plus grande. Un jour où l’autre, notre sincérité et notre honnêteté sont mises à l’épreuve de nos doutes, de nos envies, de la pression qu’exercent sur nous des personnes ou un milieu. Un jour ou l’autre, il cesse d’être facile de ne pas voler, de ne pas mentir, de ne pas tromper…
Nous pouvons tous, chrétiens ou pas, être tentés de dévier de la belle ligne claire et droite que nous nous étions fixée. Pour tenir le cap, il faut une motivation aussi forte que la pression exercée sur nous… Quelle cause peut être assez juste pour que nous persévérions ? Quel Dieu peut être assez grand pour nous inspirer un chemin de résistance ? L’apôtre Paul écrit dans sa lettre aux membres de l’église de Rome qu’une fois qu’on a accepté Jésus pour sauveur, on devient « esclave de la justice ». Comme si nous ne pouvons être autrement qu’intègres ! C’est un étrange esclavage. Mais j’aime à penser ce lien de cause à effet entre ma foi et mon intégrité comme le sens même de mon engagement avec Dieu : cet engagement me fait grandir, il exigeant mais il est constructif, et il plante en moi de bonnes graines qui ne peuvent faire autrement que de germer et de porter du fruit.... lire la suite
L’être humain tend naturellement vers la facilité. En témoigne, entre des milliers d’exemples, son rapport au langage. Une langue évolue toujours vers les usages qui demandent le moins d’efforts, quitte à commettre quelques anglicismes et à transgresser la grammaire. A peine la résistance académique freine-t-elle les évolutions qui, un jour ou l’autre, ont lieu. Et c’est entre autres ce qui fait qu’aujourd’hui, nous ne parlons pas le français du XVIe siècle.
Cette tendance à la facilité, on la retrouve partout et, si elle n’est pas toujours un problème, elle peut le devenir lorsque nous nous contentons d’appliquer sans cesse les mêmes schémas de pensée et les mêmes grilles de lecture du monde, sans chercher à les renouveler, à les adapter ou à en percevoir les insuffisances. Ainsi faudrait-il apprendre à aimer ce qui est difficile parce que ce qui est difficile nous fait grandir. Mais c’est là un terrible raccourci ! Il faut que je m’explique…
La difficulté en elle-même n’engendre que la souffrance, sous différentes formes et à différents degrés. Ce dont nous nous passerions tous bien volontiers ! Mais l’effort qu’elle nous oblige à produire, lui, est intéressant. Il est intéressant parce qu’il nous ramène dans le champ de l’apprentissage, qu’on cantonne trop souvent au contexte scolaire. C’est en allant à la rencontre de nouvelles connaissances, de nouvelles méthodes, de nouvelles personnes que nous accroissons nos capacités. En prospectant en nous-mêmes, comme un géologue sonde les entrailles profondes de la terre, il se pourrait bien que nous découvrions, aussi, des sources d’énergie insoupçonnées.
L’écrivain autrichien Rainer Maria Rilke dit un peu la même chose à propos de la solitude et de l’amour sans ses Lettres à un jeunes poètes : « Nous savons peu de choses, mais qu’il faille nous tenir au difficile, c’est là une certitude qui ne doit pas nous quitter. Il est bon d’être seul parce que la solitude est difficile. Qu’une chose soit difficile doit nous être une raison de plus de nous y tenir. / Il est bon aussi d’aimer ; car l’amour est difficile. L’amour d’un être humain pour un autre, c’est peut-être l’épreuve la plus difficile pour chacun de nous, c’est le plus haut témoignage de nous-mêmes ; l’œuvre suprême dont toutes les autres ne sont que les préparations. »
L’idée, ce n’est pas d’aimer la difficulté pour elle-même, ce qu’a fait le dolorisme chrétien, peut-être plus précisément catholique, pendant des siècles. Les différentes douleurs qui naissent de toutes les sortes de difficultés n’auront jamais rien d’aimable à mes yeux. En revanche, je peux approcher la difficulté de différentes manières. Je peux laisser son potentiel destructeur se déployer. Je peux aussi chercher quel chemin me permettra d’apprendre et d’apprendre quoi.
En ce sens, je comprends mieux les paroles du Christ, lorsqu’il dit : « Entrez par la porte étroite. Car large est la porte, spacieux est le chemin qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent à la vie, et il y en a peu qui les trouvent » (Matthieu 7.13-14). Ce n’est pas une volonté de sa part de nous rendre la tâche plus difficile. C’est plutôt une invitation à ne pas toujours céder à notre penchant pour la facilité, à nous donner la peine d’étudier des solutions moins conventionnelles, moins communes, moins humainement logiques à nos difficultés. En un mot, c’est une invitation à porter un regard nouveau sur la vie.... lire la suite
Personne n’aime les situations où il ne maîtrise rien. Nous avons tous le désir d’exercer un contrôler sur notre vie, de diriger notre carrière, de planifier des projets. Même quand un événement imprévu survient, nous cherchons l’emprise que nous pouvons avoir sur lui pour le subir le moins possible. Malgré nos efforts, force est de constater que tout maîtriser est impossible. Et s’il nous arrive d’en avoir la sensation, ce n’est qu’une illusion.
Pour le chrétien, plus il estime qu’une tendance l’éloigne de Dieu, plus il se sent en devoir de déployer de l’énergie pour y résister. L’un luttera pour canaliser une mauvaise habitude, l’autre pour dompter son propre caractère ou un autre encore, pour parvenir à une gestion de son temps qui laisse la place à Dieu. En soi, le but est louable : se rapprocher d’un idéal, être en cohérence avec ce qu’on affiche, retrouver l’harmonie dans notre relation avec Dieu, avec les autres, etc. Pourtant, qui peut prétendre que les résultats obtenus sont à la hauteur des efforts engagés ? Et quand la culpabilité s’en mêle, il n’y a rien de plus terrible pour nous décourager !
En opposition à ce réflexe premier qui consiste à combattre par soi-même, Dieu propose une recette bien à lui, une recette étonnante : s’abandonner. L’apôtre Paul rapporte son expérience en ces termes : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse » (2 Corinthiens 12.9). Mais s’abandonner, n’est-ce pas cesser de lutter ? Et si je cesse de lutter, comment m’en sortirai-je ?
La fin de la lutte – de notre lutte personnelle – n’est qu’un premier pas. Comme l’alpiniste pris dans un mauvais pas, elle consiste à examiner la situation autour de nous, notre état de fatigue, les moyens à notre disposition et la configuration des lieux. Sinon, comment savoir où poser notre pied ? où planter notre piolet ? sur quel rocher s’appuyer ? Un état des lieux s’impose avant de lancer ses dernières forces dans un effort qui pourrait être vain. Reconnaître où nous en sommes, c’est le point de départ pour demander son aide à Dieu dans la suite du chemin à parcourir. Cesse alors l’agitation intérieure qui nous occupait jusque-là. La voie est libre pour qu’un souffle nouveau – divin – prenne le relai.
Notre mauvaise habitude revient ? Nos erreurs nous rattrapent ? Nous retombons dans un ancien écueil ? Cela ne prouve qu’une chose : qu’il ne faut pas confondre Dieu avec une baguette magique ! Si Dieu se montre patient envers nous, pourquoi ne pas également nous faire ce cadeau ? Finalement, nous sommes un peu à l’image de ce voyageur qui trouve la route plus intéressante que sa destination finale. A condition toutefois de rester ouvert à tout ce qui peut se vivre à partir du point de départ, sans être trop pressé d’arriver. Le chemin peut prendre du temps. Non parce que Dieu nous laisse nous débrouiller seul mais parce que nous en avons besoin. Nous en avons besoin pour entendre, comprendre qu’il nous propose un projet et que ce projet – loin de s’imposer à nous – nous révèlera à nous-même.... lire la suite
Un bateau est amarré non loin de la côte. A son bord, un capitaine vigilant surveille les alentours. Il se laisse toutefois surprendre par un inconnu qui a ramé depuis le rivage pour poser à bord du navire une bombe qui le fera couler. Les deux hommes sautent juste à temps dans l’eau pour échapper à l’explosion et aux flammes. Ils regagnent à la nage, sains et saufs, la terre ferme. Les raisons de cette explosion échappent au spectateur. Le plus important est la chute de ce clip, réalisé par le groupe King and Country pour la chanson « Burn the ships » (« Brûle les navires »). Ceux qui le veulent pourront facilement le retrouver sur Youtube. Le plus étonnant est qu’une fois échoués seuls sur la plage, les deux naufragés n’en viennent pas aux mains. Au contraire, le capitaine du bateau semble avoir retrouvé une forme de liberté.
J’y vois l’image d’une vie normale qui n’éprouve pas le besoin de remettre en question ses habitudes et ses certitudes. Elles font partie du décor. Elles nous sont bien utiles parce qu’elles facilitent largement le chemin que nous devons nous frayer, chaque jour, dans l’existence. Dans ce petit monde, tout est à sa place. Mais le confort rassurant n’a-t-il pas progressivement évincé la question du sens ? Le sens de nos activités, le sens des relations que nous entretenons avec les autres, le sens de nos projets, en un mot le sens de la vie… Que cache le navire dans sa cale ? Qu’est-ce qui nous permet d’affirmer qu’il n’est pas une coquille vide ? Ainsi le quotidien, les occupations multiples ou encore la fatigue nous font-ils oublier de nous questionner : qu’est-ce qui est au cœur de notre vie ? Voulons-nous que ce qui est aujourd’hui au centre y demeure ou éprouvons-nous le besoin de nous réorienter ?
Un verset de la Bible dit : « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Matthieu 6.21). Nos forces vitales, nos capacités et nos pensées, sont naturellement mobilisées par ce qui est important à nos yeux. Si nous estimons que ce trésor est sur le bateau, alors tout va bien... Mais peut-être est-il enfoui là-bas, dans le sable du rivage ? Les courants ont pu nous faire dériver. Des vents contraires nous ont bloqués à quai. Ou l’ancre a rouillé. Le moment est venu de regarder notre feuille de route. De vérifier que nous sommes sur la bonne voie. Sommes-nous bien à la poursuite du trésor qui nous tient à cœur ou avons-nous besoin de nous recentrer ? Avant de répondre, avant de savoir si nous devons rester ou sauter du bateau, un audit interne s’impose. Certains penseront peut-être qu’il est trop tard pour le faire – ou trop tôt ?! Mais finalement, nous sommes les seuls à pouvoir en décider.
Le danger est plutôt de croire avoir choisi une fois pour toute son trésor et de croire avoir toujours gardé le cap. La conséquence est alors de s’accrocher à un bateau qui dérive, par aveuglement ou par facilité. Aujourd’hui, j’aimerais me poser avec vous cette question : quel bateau me retient sur cette grande carte de la vie ? Quelles amarres ai-je besoin de larguer pour voguer vers le trésor que je me suis choisi ? Car le comble n’est pas d’être loin de ce trésor, mais de n’avoir jamais rien fait pour s’en rapprocher.... lire la suite
Il semble plus naturel à l’homme de penser à son présent et à son avenir qu’à ce qu’il laisse derrière lui. En témoigne cette expression populaire, tirée de la Bible mais utilisée par les croyants comme par les non-croyants : Après moi, le déluge ! Comme si je pouvais profiter de la vie dans un carpe diem sans conscience et sans conséquence. La conjoncture actuelle, marquée par toutes les questions que soulèvent le climat et l’industrie agro-alimentaire, nous montre pourtant que l’humanité est tôt ou tard rattrapée par la réalité, que ce soit à l’échelle collective ou individuelle.
Tout au long de sa vie, le Christ a agi exactement à contre-courant de cette logique humaine. Il n’a pas travaillé dans la perspective de s’acquérir des richesses, d’assurer son lendemain, de conquérir un niveau de vie confortable ni même en se souciant si ses besoins primaires seraient comblés. Toutes choses par ailleurs légitimes… S’il s’est projeté c’est pour et au nom de ceux qui allaient venir après lui. Son but ? Transmettre, rendre des hommes sensibles à son message pour qu’ils le partagent à leur tour. Un message qui va bien au-delà de la vie terrestre et de ses objectifs immédiats. En un sens, si Jésus a pensé au futur, c’est paradoxalement en regardant derrière son épaule pour s’assurer de la trace qu’il allait laisser.
Trois paramètres encadrent cette vision atypique de l’existence. D’abord, ne pas être centré sur soi. Si on pense d’abord à soi, alors il est logique d’être principalement voire exclusivement préoccupé par ses besoins et ses désirs, par l’immédiat et le lendemain, en cherchant le plaisir dans un sens très large et des garanties pour le conserver. Or, l’action du Christ s’inscrit dans un état d’esprit de service et d’ouverture aux autres en priorité.
D’autre part, Jésus avait la conscience de sa mort. Certes, il était bien placé pour cela puisqu’il savait dès le départ qu’elle ferait partie de sa mission sur terre. L’être humain ne peut vivre en ayant sans cesse présente à l’esprit sa finitude et un monde qui continuera sans lui pour finalement l’oublier. Nous avons tous besoin de croire que demain, quand le soleil se lèvera, nous nous réveillerons bien vivants. Néanmoins, l’homme ne peut non plus poursuivre sa vie sans jamais s’inquiéter de sa fin inéluctable. D’ailleurs, les psychologues s’accordent à dire que ceux qui meurent le plus sereinement sont ceux qui ont pris le temps de s’y préparer et de mettre en ordre ce qui devait l’être dans leur vie matérielle et spirituelle. Ainsi, la conscience de sa propre fin peut-elle sauver l’être humain de son orgueil et de la folie de ses projets.
Enfin, le Christ reste concentré sur sa mission – si difficile soit-elle. Je suis pourtant convaincue qu’il a eu des moments de plaisir, de légèreté peut-être même, mais jamais au détriment de l’héritage vivant qu’il voulait laisser derrière lui. La mission qu’il avait portait déjà en elle-même le germe d’une joie qu’il n’avait pas besoin de chercher ailleurs, au risque de s’éparpiller. Et ses diverses activités participaient toutes de cette mission, sa vie n’était pas segmentée comme nous le faisons trop souvent.
En tension entre un présent intense et le souci de l’empreinte qu’il voulait laisser, l’exemple du Christ nous ouvre la voie d’un bonheur et d’une paix durables. Il est moins un sermon qu’un programme, et moins un programme qu’une invitation à faire des choix qui s’inscrivent dans une temporalité qui ne s’en tient pas qu’à l’ici et au maintenant.... lire la suite
La parabole du berger qui laisse ses 99 brebis pour aller chercher celle qui manque m’a toujours paru incompréhensible du point de vue stratégique. D’abord pour une question évidente de proportion : 1 pour 99, le ratio est plus qu’inégal ! Ensuite à cause du rapport bénéfices/risques. Le berger peut chercher sa brebis longtemps ! Sans compter qu’un tas de dangers le guettent dans ce désert qui sert de décor à l’histoire… Je pense aussi à tout ce qui peut arriver au troupeau laissé seul pendant ce temps-là. Et puis, et puis… ce n’est pas tout de trouver cette brebis – et encore, si on la trouve ! Qui sait dans quel état elle sera ? Le berger, lui, ne se pose pas toutes ces questions et ne procède pas à un tri sélectif entre ceux qui valent la peine et les autres.
Une deuxième chose me frappe, dans cette parabole, c’est la présence d’une joie semble-t-il intense qui s’exprime à deux reprises. Premièrement, c’est le sentiment du domine quand le berger retrouve sa brebis. Puis de retour chez lui, il invite ses amis et ses voisins à faire la fête : « Réjouissez-vous », leur dit-il ! Mais qui n’est pas plutôt énervé d’attendre quelqu’un qui n’a pas suivi la bonne route ? Qui accueille avec une joie pure celui qui a fugué de la maison pour vivre sa vie ? Cette joie du berger n’est pas une évidence, elle découle d’une certaine disposition du cœur. Notre envie de sermonner est souvent plus forte – sans doute parce que cela nous rassure d’avoir dit « ce qu’il fallait dire », en quelque sorte. Rien de tel chez le berger ! Il prend la brebis retrouvée et la porte sur ses épaules pour rentrer au bercail. Pas de leçon, pas de question, pas de sanction.
Jésus conclut en disant qu’il y a plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui se repend que pour ceux qui ont marché toute leur vie dans le droit chemin. Comment est-ce possible ? Une nouvelle si injuste ne peut réjouir que les aspirants délinquants ! Le Christ renverse bel et bien nos valeurs humaines et nos échelles de référence. Ceux qui sont les plus éloignés du troupeau, ceux qui ont vécu en contradiction avec tous les bons principes, ceux qui ont voulu prendre le large pour être libres, mener leur vie selon leur bon plaisir sans tenir compte des autres, sont ceux qui ont le plus d’importance aux yeux de Dieu.
Dans les années 80, un pilote de course de moto moyen, Randy Mamola, a marqué l’histoire lors d’un grand prix. Alors qu’il perd le contrôle de sa moto à la sortie d’un virage, tout le monde le croit perdu. Dans un mouvement de voltige digne d’un grand gymnaste, il reconquiert son équilibre sans réussir à se remettre en selle et termine hors circuit en courant à côté de sa moto tout en freinant. La caméra braquée sur lui nous fait oublier les autres coureurs restés en piste et parmi lesquels se trouve le champion du jour. Mais c’est Randy Mamola qui hypnotise le public ce jour-là. Les spectateurs recommencent enfin à respirer une fois le bolide à l’arrêt, avec son pilote en seul morceau.
Il y a un peu de cette joie et de ce soulagement devant le retour extraordinaire de la brebis perdue. Une joie qui se partage et qui se vit avec les autres. Au final, personne n’est lésé avec le Christ !
Vous pouvez retrouver cette parabole de la brebis perdue dans Luc 15.1-7... lire la suite
Peut-être n’est-ce qu’une impression, mais il me semble toujours que les mauvaises habitudes sont plus faciles à prendre qu’à perdre ! J’ai eu de nombreuses occasions de constater à quel point les petits palliatifs que nous mettons en place pour combler un vide, un manque, peuvent devenir des réflexes tenaces, et parfois même des addictions. Il devient alors si dur de renoncer au pouvoir magique de la télécommande quand le petit écran répond sans délai à un sentiment de solitude. Si compliqué de cesser de manger dès qu’on est stressé ! Et par quoi remplacer ce petit verre tardif qui donne l’impression de mieux affronter l’angoisse de la nuit, l’incertitude de l’existence ?
Le changement peut faire reculer, même si on le désire ardemment. Précisément parce qu’on sait ce qu’on perd mais qu’on n’a pas encore la conscience claire de ce qu’on gagne. Bien souvent, la personne qui rêve de se débarrasser d’une habitude bien ancrée ne se représente que l’absence de la béquille qu’elle s’est créée pour surmonter une situation. Un peu comme le fumeur ne peut qu’envisager avec horreur ne plus fumer tant qu’il se représente cet état comme celui du manque perpétuel et éternel. Mais avec une méthode adaptée, avec du temps, et parfois après quelques rechutes qui font partie du parcours, alors on commence à goûter le fruit des efforts.
Passée la période de sevrage, quand il s’agit d’une addiction, ou du moins une période d’inconfort plus ou moins grand – tout dépend de quoi on parle – la personne cesse de ressentir le manque. La paix peut enfin l’habiter, une tendance qui était devenue une souffrance peut être remplacée par une autre expérience, positive celle-là. Bien sûr, en fonction de notre vécu, il faudra peut-être se protéger, prendre quelques dispositions pour éviter la récidive – comme on le dit pour ceux qui sortent de prison.
Dans la vie, il vient toujours le moment où on s’aperçoit qu’il y a un écart entre l’idéal et la réalité. Dans cet écart se sont glissées, entre autres, ces habitudes qui nous font du mal (parfois pas toujours, ou pas sur le coup, il est vrai). Ces habitudes dont on sait ce qu’elles nous apportent… tout en reconnaissant qu’elles ne sont pas à la hauteur de ce qu’on aimerait vivre. Changer ? Oui, merci, mais comment ? Chacun a sa méthode : radicale ou progressive, avec un accompagnement médical et/ou spirituel… J’ai envie de dire : peu importe, car qui peut prétendre détenir les recettes de la vie ?
Ce dont je suis convaincue, c’est que Dieu n’exige pas de nous que nous nous amputions – fut-ce d’une mauvaise habitude – pour nous laisser avec le manque, l’absence, la fébrilité et le désarroi engendrés. Là où l’être humain est plus royaliste que le roi, là où il est moraliste et moralisateur, Dieu voit plus loin que sa propre loi : il désire que ses enfants, puisque c’est en ces termes que la Bible parle de nous, gagnent la paix, le bien être si possible, une espérance qui fait qu’on n’est pas limité à l’ici et maintenant. En un mot : qu’ils soient libres ! C’est ce que dit l’apôtre Paul dans sa lettre aux membres de l’église de Corinthe : « Là où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Corinthiens 3.17).... lire la suite
Prier avec foi, c’est demander à Dieu une chose en étant sûr qu’elle se réalisera. C’est du moins ce que je pensais jusqu’à il n’y a pas si longtemps. Jusqu’au jour où je n’ai pas reçu cet exaucement qui me semblait pourtant si évident, si assuré. Inévitable, en quelque sorte. D’autant plus qu’il s’inscrivait dans la droite ligne des événements qui avaient précédé : Dieu avait guidé chaque étape de mon projet, je l’avais vu à l’œuvre, et voilà qu’au moment d’en achever parfaitement la réalisation, tout s’écroulait… Quelle surprise ! Quelle déception, quelle incompréhension !
Heureusement pour moi, l’histoire ne s’est pas arrêtée là. Les jours passant, j’étais toujours aussi obnubilée par mes questions. Le fait est que si Dieu n’était pas indifférent à mon sort, il n’avait pas pour autant fait ce à quoi je m’attendais. C’était sans doute bien là le problème : en pensant avoir une prière de foi, une prière qui demande avec ferveur et qui s’entraîne à croire que la réponse est possible – cette réponse qu’on a imaginée et qui de toute façon est la seule logique – en étant persuadée, donc, de prier avec foi, j’avais prié sans laisser le choix à Dieu.
J’avais exigé un dû – et dans un sens, on pourrait considérer que Dieu se devait, me devait d’achever un projet que nous avions mené ensemble. Mais en attendant cette seule réponse possible à mes yeux, j’enfermais Dieu dans ma boîte à idées… Avec toute la foi que j’estimais mettre dans cette prière, je n’étais pas du tout prête à accepter que les choses se déroulent autrement que comme je l’avais imaginé. Je n’étais pas prête à tout accepter de Dieu. Et je n’étais certainement pas prête à accueillir l’inconfort de l’incertitude.
Finalement, je serais tentée de dire, si je devais tirer une leçon de cette expérience, que j’ai appris la prière du doute, du moins celle de la foi dans le brouillard ; celle que l’on formule dans l’intime de son cœur, sans savoir ce qu’il peut advenir, sans même chercher à orienter Dieu (comme s’il ne savait ce qu’il fallait faire !) mais en s’efforçant d’accepter de ne pas avoir de visibilité ni de prise sur la suite. Cette prière que l’on n’ose pas dire en public parce qu’elle est trop humble, trop fragile. Parce qu’elle nous laisse trop nus devant Dieu, dépouillés de tout ce qui fait notre belle force aux yeux des hommes.
Vous avez peut-être entendu dire qu’il fallait prier avec foi. J’ai envie de dire que même si vous doutez, exprimez aussi votre demande à Dieu. Vous ne savez pas de quoi demain sera fait ? Vous vous dites que c’est trop tard, trop grave, trop silencieux dans le ciel pour demander quoi que ce soit ? Vous vous dites que vous êtes trop faible, trop insignifiant, responsable de trop d’échecs ? Mais vos doutes et vos manquements sont autant d’occasions et de raisons pour Dieu d’agir ! L’assurance qui vous fait défaut lui laisse toute latitude. C’est autant de place pour la réponse qu’il a à vous donner – probablement encore une réponse que personne n’aurait imaginée… mais qui sera sans nul doute adaptée.... lire la suite
Le mot « signe » revêt plusieurs sens qui ont tous en commun le caractère visible (parfois même spectaculaire) de la chose. Dans le domaine de la foi (rappelons que l’origine du mot est la même que pour « confiance »), dans le domaine de la relation avec Dieu, donc, on a aussi besoin de phénomènes visibles, tangibles. Ils permettent de lever les doutes et d’être vraiment au clair au moment de prendre une décision ou de se lancer dans un projet. Il faut croire que sur le principe, cela ne pose pas de problème à Dieu puisque plusieurs récits bibliques racontent comment Moïse, Gédéon, Marie… ont reçu des signes.
On a envie d’en conclure qu’on peut demander des signes à Dieu comme on se sert devant un buffet « à volonté ». Cela nous rassurerait. Car en effet, les signes sont probablement demandés, plébiscités, exigés dans la mesure où ils nous rassurent. Ils nous rassurent parce que nous les considérons comme indiscutables. Et moins nous avons confiance en nous, plus nous avons besoins de « preuves ». Surtout dans les moments difficiles, les moments de crise, les moments de panique, où nous cherchons naturellement ce qui nous sécurise. Malheureusement – ou heureusement, à vous de voir – la situation de l’être humain par rapport à Dieu est beaucoup plus complexe. D’ailleurs, qui peut se targuer d’avoir reçu sinon tous les signes demandés, du moins beaucoup de signes ?
Ses disciples eux-mêmes demandent au Christ des signes alors qu’ils ont assisté à ses miracles. Quel signe de plus leur faut-il donc ? Lequel leur suffira ? A partir de combien s’estimeront-ils rassurés ? De signe supplémentaire, ils n’en auront pas parce que leur maître sait bien que cela ne changerait rien. Pire : cela ne ferait que nourrir leur soif de spectaculaire et donc leur fragilité, leur manque d’assurance personnel et dans la foi.
Demander un signe, dans un contexte comme celui-là, c’est faire l’économie de la confiance. C’est se faciliter la vie : un signe, c’est visible, on ne peut pas le rater (ou alors c’est de la faute de celui qui l’envoie et qui fait mal son travail). Donc en attendant, sachant qu’un signe va arriver, je peux me reposer un peu. Attendre une réponse, dont je ne sais pas ce qu’elle sera, ni quand elle sera, quelle forme elle prendra, est nettement plus inconfortable. Cette posture oblige à rester en veille, disponible, réceptif, les antennes en alerte, cherchant à tout instant à être ouvert à ce que Dieu va dire car je ne sais pas où et quand la réponse peut me parvenir.
Pour recevoir un signe, il faut paradoxalement être dans une forme active d’écoute, avec des récepteurs qui fonctionnent parfaitement bien. S’il y a de la friture sur la ligne, on n’est même pas certain de reconnaître la voix d’un ami cher. Imaginez ce que ce serait avec Dieu !
En guise de conclusion, je serais tentée de dire : les signes, c’est bien, ce n’est pas interdit, mais si on peut s’en passer, autant avancer autrement. Dieu a en sa possession beaucoup d’autres moyens de nous délivrer ses messages. Laissons-le choisir le langage le plus adapté à nous.
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Le goût du neuf
La rentrée est traditionnellement une période de nouveauté. Moins que le Nouvel An mais plus que Pâques, dont on banalise me semble-t-il la signification. C’est une occasion de changer d’activité, d’organisation, de rythme. La coupure de l’été, pour ceux qui en bénéficient, favorise ce regard neuf sur le quotidien. Je suis cependant surprise de constater comment, chaque année, les habitudes reviennent. Les rentrées se suivent et se ressemblent. Elles ont le goût de ces débuts d’année qui épongent en quelques semaines, quelques mois, l’enthousiasme des bonnes résolutions prises au 1er janvier.
C’est peut-être moins vrai pour les plus jeunes qui peuvent voir leur environnement changer en passant d’une école à une autre, d’une classe à une autre, d’un professeur à un autre… Néanmoins, la trame des jours ne se singularise pas ou peu ou rarement. Un gage de stabilité ? Sans aucun doute. Mais tôt ou tard, la part de la banalité allant croissant, la routine impose sa cadence et ses limites. Nos travers aussi, reviennent. Et avec eux notre penchant pour la facilité, pour ce qu’on connaît déjà, pour ce qui nous demande moins d’effort et moins d’investissement.
En fait, ces situations sont plus symboliques qu’autre chose – quoi que… Elles mettent en évidence la difficulté intrinsèque à notre espèce humaine de générer du nouveau. De le générer autour de soi et a fortiori de le générer en soi. Une autre image de ce désir de nouveauté inaccompli, ce sont toutes les chimères inventées par les hommes au cours de leurs histoire, que ce soit dans les mythes de la Grèce antique, par exemple, ou au cinéma. Ainsi, les sirènes ne sont jamais que des femmes-poissons et les extraterrestres sur grand écran ne sont jamais que des variantes de l’être humain (avec des yeux, même s’ils sont en plus grand nombre, de la peau, même si elle est verte, un langage, même si on ne le comprend pas, etc.). La véritable nouveauté est très rare.
Est-ce un argument propre à décourager notre créativité ? Pas pour moi. Ne serait-ce que parce que de belles inventions peuvent émerger et parce que cette créativité nous est donnée pour nous exprimer, exprimer nos sentiments et nos observations. Mais pour ce qui est de la nouveauté effective, il faudra repasser ! Ou attendre. Car notre désir parfois explosif de transformer le monde n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Dieu le connaît, Dieu l’a entendu. Il l’a même anticipé en annonçant dans sa parole, la Bible, que le jour viendrait où il ferait toute chose nouvelle1. Où l’ancien monde – celui que nos politiques promettent de réformer – ne sera plus. Les lois de l’univers vont changer, et elles vont changer en bien : plus de souffrance, plus de tristesse, plus de mort ! Voilà une rentrée !
Ce monde est annoncé, ce monde est une promesse de Dieu à l’humanité, à vous, à moi. En attendant, rien ne nous empêche d’apporter notre pierre à l’édifice, bien sûr, et pour moi, cela commence par faire du nouveau avec soi-même. Ce nouveau, nous ne sommes pas plus capables de le produire que le reste. Mais si nous nous faisons accompagner par Dieu, créateur de nouveauté de vie par excellence, alors nous avons toutes nos chances !
1. Voir dans la Bible Esaïe 43.19 et Apocalypse 21.1-8... lire la suite
Pas besoin d’avoir vu le nouveau clip de Beyonce et Jay-Z, « Apshit », pour savoir que c’est une grosse production. Le duo d’artiste et producteur de RnB se sont offert le musée du Louvre pour décor, avec quelques unes de ses toiles les plus prestigieuses : la célèbre et mystérieuse Joconde, de Leonard de Vinci, mais aussi le tragique Radeau de la Méduse de Théodore Géricault, ou encore l’immense tableau de Jacques-Louis David représentant le sacre de Joséphine par Napoléon. Pour tous les amateurs d’art, ainsi que pour tous ceux à qui les artistes du clip auront donné envie de visiter le Louvre, j’aurais voulu que ces six minutes de vidéo n’aient vue le jour que pour l’amour de l’art.
D’un côté, le couple d’artistes frappe fort avec un nouveau clip qui ne ressemble en rien à ce qu’ils ont fait jusque-là. De quoi retenir l’attention des fans et en attirer de nouveaux grâce à une promotion efficace ! De son côté, le musée sait qu’il n’a pas ouvert ses portes à la production pour rien, et que toutes les contraintes, tous les risques que le tournage a inévitablement entraînés vont avoir leur contrepartie. Grâce à ce clip, le Louvre atteint un public qu’il ne touchait pas jusqu’à présent, sans doute plus populaire, moins intello, mais qui aura envie de faire une visite sur les traces du couple iconique. Non, décidément, rien n’est gratuit.
Qu’en est-il dans nos relations personnelles ? Savons-nous donner sans rien attendre en retour ? Ni retour d’ascenseur, ni reconnaissance. Sans attendre non plus que l’autre se montre méritant, à la hauteur de l’effort que nous avons fait pour lui. Sans attendre qu’il soit aimable. Pas même qu’il soit honnête, correct, sincère, moralement irréprochable. Ou qu’il commence à changer pour enfin devenir quelqu’un de bien.
J’irai encore plus loin : suis-je capable de donner sans regret, ni amertume ni déception, selon comment tourne l’expérience ? Sans aspirer à reprendre ce que j’ai offert, sans espérer que justice me soit rendue si j’ai été arnaquée, sans le faire payer au suivant ? Donner en étant libéré de toute attente mais aussi de toute satisfaction d’avoir bien agi : voilà une gratuité exigeante et… coûteuse, d’une certaine manière !
Quand le Christ guérit dix lépreux et qu’un seul revient lui dire merci, il ne retire sa guérison à aucun. Il ne donne jamais ce genre de leçon. Même à ceux qui refusent ce qu’il a à offrir, même à ceux qui le rejettent personnellement, il n’en veut pas. Le Christ va même vers ceux qui n’ont rien fait pour lui afin de leur faire du bien et de répondre à leurs besoins.
Pour certains, tout ce qui est gratuit est louche. Pour d’autres, il y a forcément une motivation cachée, fut-elle de l’ordre du devoir moral. Pour moi, c’est une expérience qui nous rend conscients de notre commune humanité, nous rapproche de l’autre et aussi du tout Autre, qui est Dieu. Mieux que des motivations qui rendraient notre démarche intéressée, ce sont les conséquences qui résultent de nos actes et de notre choix d’essayer la gratuité. ... lire la suite
Albert Einstein a écrit : « Il y a deux façons de voir la vie, l'une comme si rien n'était un miracle, l'autre comme si tout était miracle. » Alors je repense à toutes ces fois où il m’a semblé que ma prière restait sans réponse. A toutes ces fois où j’ai demandé un signe. Et plus ce sera spectaculaire, plus on s’imagine que ce sera « la » réponse qu’il nous faut. Et plus on y pense, plus on se dit que « la » réponse qu’il nous faut doit forcément être spectaculaire. N’est-ce pas ça, par définition, un miracle ?
J’ai dans l’idée que nous avons plus ou moins tous, un jour ou l’autre, espéré le miracle qui allait nous faire sortir de la crise. Croyants comme non-croyants, chacun peut à mes yeux être tenté par l’espoir d’une réponse extraordinaire dans une situation extraordinaire. Pour les plus farouches, cette attente peut même cristalliser les tensions et se transformer en un défi lancé au ciel. Bref, nous traversons tous des situations qui nous amènent à faire appel à l’impensable, à l’impossible, à l’espoir d’une faille dans le réel qui rendrait l’Infini sensible à nos requêtes formulées au coeur de la douleur.
Faut-il oser y croire ? Dans les épreuves, il n’est pas de solution qu’on dédaigne. Même si la probabilité de leur succès est mince, il devient raisonnable de faire flèche de tout bois. Parfois le spectaculaire est au rendez-vous. D’autres fois ce n’est pas le cas. Etrange, surtout si l’on considère que Dieu est le même à travers les âges… Mais vous aurez remarqué que je parle de « spectaculaire » et non de « miracle ». Car qui dit qu’aucun miracle ne s’accomplit même si on ne reçoit pas l’exaucement attendu ?
Dans la nuit noire du deuil, rendue plus profonde encore par l’injustice de la mort de son enfant, j’ai vu l’une de mes amies tâtonner sans parvenir à avancer. Certains diront que pour elle, le miracle ne s’est pas accompli et en un sens, mais en un sens seulement, ils auront raison. Un temps, l’espérance de cette amie a fui dans une hémorragie impossible à juguler. Le mot même, « espérance », était devenu vide de sens. Pourtant, d’autres enfants sont venus. Bien sûr, ils ne remplaceront jamais celui qu’elle a perdu. Ils sont seulement le signe qu’une autre réponse est possible. Une autre réponse que celle qu’on attendait au moment où on l’attendait. Comme un fil fragile à extraire d’une pelote.
Dans le retour d’un sourire, il peut y avoir une forme de résurrection. Dans une parole prononcée à propos, il peut y avoir un miracle. L’exemple de cette amie me pousse à croire que quelle que soit notre impasse, notre souffrance, Dieu a un message pour nous. Dans un choix courageux et risqué, aurons-nous la force de nous rendre accessibles à ce message ? D’avancer, grâce à ce miracle qui n’est pas celui que nous attendions, mais qui nous place au-dessus du tumulte qui gronde ?
Jésus a beaucoup guéri. Pourtant, il est mort en souffrant. Ces deux aspects sont emblématiques des paradoxes auxquels il nous faut faire face dans la vie. Parce que la vie n’est pas juste, comme nous aimerions à le croire pour lui donner un sens. Heureusement, là encore – ultime miracle – Dieu se montre présent, partageant douleurs et joies à nos côtés. De cette présence peut alors renaître une espérance.... lire la suite
Se ressourcer… avant de tout plaquer
Le monde ecclésial est connu pour s’appuyer sur le travail de beaucoup de laïcs bénévoles, et parfois pour les exploiter un peu... A l’église où j’allais, tout le monde a cru bien faire en choisissant de ne pas renommer au poste de diacre un grand père qui avait déjà donné à la communauté quelques décennies de bons et loyaux services. Mais les responsabilités que nous portons ne sont pas toujours que des charges. Elles sont aussi porteuses de sens. Et avec le recul, je comprends que le vieil homme ait été bousculé par cette décision. Il l’a vécue comme une remise en cause de ses états de service et de son implication au sein de la communauté. Ne voulait-on plus qu’il participe ? Si oui, il aurait été logique pour lui qu’on le reconduise dans un nouveau mandat !
Ainsi peut-il nous arriver d’investir certaines responsabilités. Je ne parle pas de celles qu’on s’imagine détenir à vie. Je parle des responsabilités dans lesquelles nous injectons des valeurs d’engagement qui alimentent durablement nos batteries. Il arrive que cela échappe même à notre entourage… Autrement plus paradoxal, ces responsabilités peuvent susciter de la part même de celui qui les exerce –parfois au quotidien – des plaintes, des remises en question, l’envie de passer le relai quand une obligation de notre agenda en chasse une autre et que le rythme auquel s’enchaînent nos activités ne laisse plus de place à la respiration de l’âme.
Oui, il nous arrive de vouloir poser à terre ce que nous ne portons plus que comme un fardeau. Bien sûr, cela peut être justifié ou tout simplement clairement pensé et choisi. Mais parfois aussi (et c’est de ces cas que je veux parler), notre fatigue nous fait oublier le sens que nous mettons dans tel ou tel engagement. Quand notre insatisfaction chronique ou la saturation de notre emploi du temps nous fait perdre de vue l’essentiel, comment le retrouver ? La solution n’est sans doute pas dans le fait de tout quitter, tout plaquer. Cela ne ferait qu’engendrer de nouvelles frustrations…
Nous sommes contraints de refaire le chemin en sens inverse, en quelque sorte, de retrouver la route qui nous a conduits là où nous sommes aujourd’hui. Pour revenir à l’origine de notre choix. Nous en souvenir. Boire à la source l’eau du désir renouvelé. Raviver la motivation, l’enthousiasme. Alors, notre engagement et notre responsabilité ne seront plus seulement un poids – même s’ils ne cesseront peut-être jamais complètement de l’être. Ils peuvent devenir ou redevenir un effort utile au service d’un projet d’ensemble. Un projet dont la perspective nous donne envie de nous lever le matin.
Ce chemin, à faire et à refaire pour retourner puiser l’eau dont nous avons besoin, peut être une corvée mais aussi une bénédiction. Rattrapés par nos limites, nous devenons de plus en plus conscients de nos forces et de nos faiblesses. Le constat pourrait nous décevoir mais nous ne sommes pas laissés livrés à nous-mêmes. L’accès à la source est toujours ouvert, nous pouvons nous rafraîchir autant que nous le voulons ! De plus, cette étape est importante parce qu’elle apporte son lot de rencontres, de fraternité et de solidarité. Et qui sait si, assis sur la margelle du puits, nous ne trouverons pas un Jésus prêt à nous accueillir tel que nous sommes, comme il l’a fait avec la femme samaritaine ?
Tout : l’engagement, la fatigue, les questions, les frustrations, le chemin pour se ressourcer, avec au bout l’eau fraîche tirée du puits, oui, tout cela fait partie de l’aventure que nous vivons avec Dieu !... lire la suite
La bonne distance, c’est celle qui sépare un bon professionnel d’un professionnel qui se laisse envahir par les histoires de son patient, par exemple. En ce sens, la bonne distance est saine et nécessaire. Mais les experts de la résilience – la résilience, c’est comment on arrive à se reconstruire après un traumatisme – les experts de la résilience, donc, comme Jacques Lecomte, ont mis à jour un mécanisme complexe où la proximité humaine joue un rôle primordial. Autrement dit, plus le soignant est proche de son patient, plus il manifeste de l’empathie à son égard, plus il l’aide à retrouver sa capacité d’agir, sa confiance en lui, l’espoir que quelque chose de bon peut sortir de ce qu’il a vécu. Pour élargir, plus on a le désir d’aider quelqu’un à rebondir, moins la distance a du bon ! Oui souvent, c’est dans son cœur que la personne souffrante a besoin qu’on la rejoigne. Et cela ne peut se faire qu’en « passant par-dessus » la bonne distance, en faisant fi des protocoles de soin pour être simplement humain, pleinement humain.
Les évangiles, qui racontent la vie du Christ, font le récit de ses enseignements et des débats de son temps auxquels il a été mêlé (parfois malgré lui). Les évangiles font aussi le récit de ses rencontres. Des rencontres qui sont autant de dialogues mais aussi de gestes concrets pour guérir un paralysé, un aveugle, un sourd, un muet ou un possédé de ce qui le rend infirme – dans son corps et/ou son esprit. Jésus ne se préoccupe pas de la bonne distance, comme signe d’une bonne pratique. Il va au contact : un contact visuel, verbal, physique, toujours en vue de faire du bien.
Certes, les évangiles rapportent aussi comment le Christ a eu besoin de s’isoler, au désert, sur une montagne, sur la rive opposée à celle où la foule qui le suit se trouve, dans l’espoir de se reposer. Lui-même a besoin de se ressourcer. Mais ce sont des moments, des parenthèses, le temps qu’il faut pour reprendre des forces. Il reprend des forces spirituelles – Jésus prie beaucoup – mais aussi physiques. Dormir, manger sont des besoins élémentaires auxquels même le Christ n’échappe pas. En tout cas, je n’ai pas l’impression qu’il « gère » ses relations avec les autres grâce à une « bonne » distance maintenue en permanence.
Son exemple me touche. D’une part parce que je m’en estime bénéficiaire : aujourd’hui encore, il aime la proximité, l’intimité des discussions comme on ne peut en avoir qu’avec nos rares vrais amis. Par ailleurs, son exemple me montre, nous montre, que ce n’est pas dans la bonne distance avec nos voisins que se réalise sa volonté. Cette distance confortable, qui nous permet de passer pour quelqu’un de courtois, voire aimable, sans jamais rien devoir à personne. Non, ce n’est pas dans le polissage de notre image et de nos relations qu’est la vérité de la rencontre avec notre prochain et avec Dieu. Que celui qui aurait peur de se lancer, de crainte d’être envahi par les problèmes des autres, ne s’inquiète pas : il est possible, et même normal, de suspendre de temps en temps sa disponibilité pour se retrouver. Le terrain est balisé ! A chacun de voir comment et combien il a envie d’ouvrir sa porte...... lire la suite
« Deux dangers ne cessent de menacer le monde : l'ordre et le désordre », écrit Paul Valéry. On peut en effet considérer l’ordre comme un écueil dès lors qu’il est une fin en soi. Comme par exemple lorsque les normes d’hygiène régissent les protocoles de fabrication au point qu’un fermier ne parvient plus à faire cailler son lait pour son fromage. L’ordre tue encore chaque fois qu’on se retranche derrière l’application de la loi pour ne pas avoir à arbitrer une situation, défendre un point de vue éthique ou risquer de perdre l’intérêt que nous portent certaines personnes. Ainsi en est-il du soldat qui n’a fait qu’obéir aux ordres. Son histoire est peut-être bien la nôtre…
Côté désordre, inutile de faire un dessin. C’est le règne de la confusion, de l’insécurité ; c’est la déstructuration, voire la destruction. Bien sûr, poussé à l’extrême, le désordre est une menace pour la stabilité et la durabilité de l’existence. Même les anarchistes reconnaissent qu’il faut une forme d’ordre. Simplement, ils estiment ou espèrent que cet ordre provienne directement de l’être humain lui-même, sans passer par une loi qui lui serait extérieure.
Pourtant, des deux côtés il y a du bon. Dire : ni ordre ni désordre, ou : et de l’ordre et du désordre, cela revient au même. L’ordre organise, conduit, limite, sécurise. Le désordre autorise la différence, crée, ouvre le champ des possibles. Et tous deux libèrent à leur façon ! Peut-être est-ce ce que voulait exprimer Paul Valéry lorsqu’il conclut en écrivant qu’« entre l'ordre et le désordre règne un moment délicieux »…
En matière de religion, l’ordre semble souvent être considéré comme préférable au désordre, et le juste milieu est délicat à trouver. D’ailleurs, l’orthodoxie désigne, au sens étymologique du terme, l’opinion droite, la bonne, celle qu’il faut suivre. Il suffirait alors de se conformer à la doctrine pour se garantir de toute erreur. Même les moins aventureux, les moins audacieux et les moins sûrs d’eux se sentent ainsi rassurés… à tort ou à raison !
Pourtant, en défrayant la chronique people des juifs de son époque, c’est-à-dire en ne respectant pas certaines prescriptions religieuses, et ce tout en se défendant d’avoir l’intention de passer la loi à la trappe, Jésus propose ce juste milieu. Un juste milieu entre ordre et désordre que nous peinons tous à trouver ou que, du moins, nous ne trouvons jamais de manière définitive. En ce sens, ces mots de Paul Valéry ne sont peut-être pas aussi éloignés du message biblique qu’on aurait pu l’imaginer !
Entre l’esprit et la lettre, le chrétien est appelé à tracer une trajectoire exigeante, rarement susceptible d’être anticipée, encore plus rarement à l’horizon lointain. Mais avancer sur un tel chemin de crête, en étant contraint de chercher sans cesse l’équilibre, n’est-ce pas la meilleure façon d’être libre ? Ni apologie ni mépris de la loi en général, que celle-ci soit de nature civile ou religieuse, la Parole de Dieu pousse à favoriser une vie pleine, sereine et généreuse. A choisir le chemin qui y mène plutôt que celui qui mène à la mort. Car pour le coup, il n’y a pas de demi-mesure, d’entre-deux estimable : soit nos décisions et nos arbitrages nous conduiront à la mort, soit ils nous conduiront à la vie.... lire la suite
Des lignes sobres et parfaitement harmonieuses, des courbes élégantes, des personnages à la fois tout en rondeur et en finesse… Vous avez peut-être déjà eu l’occasion de contempler les sculptures de l’artiste contemporain Jean-Pierre Augier ? Ses œuvres – pas toutes mais beaucoup – cachent souvent la particularité d’intégrer des matériaux recyclés. Je dis « cachent » car ces matériaux sont si appropriés qu’on les remarquerait à peine. Ici, les jambes d’une danseuse subliment de vieux ciseaux. Là, un couple de crochets s’enlace tendrement. Et Jean-Pierre Augier de raconter comment il arrive à percevoir le potentiel de ces objets usés, rongés, qui jonchent les étagères de son atelier dans l’attente d’une seconde chance.
Je me dis qu’il y a un peu du regard de Dieu dans ce regard d’artiste. Sous la rouille de nos défauts, derrière nos dysfonctionnements, Dieu voit l’œuvre qui peut advenir. Et ce regard change tout – pour moi, en tout cas. Il ouvre une perspective là où je me sens dans l’impasse. Là où le regard des autres me laisse dans l’impasse ! Et cette bonne nouvelle, je ne peux pas la garder que pour moi. Je veux la partager. Quel meilleur moyen de le faire si ce n’est en essayant, à mon tour, de poser un regard différent, renouvelé, sur ceux qui m’entourent ? En un mot, un regard qui ne porte pas de jugement, de ces avis définitifs qui enferment mon prochain dans son écueil, son échec, son erreur.
C’est un poncif du christianisme, cette histoire de jugement, et pourtant, depuis la nuit des temps, l’être humain ne peut s’empêcher de juger son semblable ! A quoi bon résister ? C’est dans sa nature ! Ce discours fataliste se fonde sur la logique humaine. C’est vrai : combien de fois ne nous sommes-nous pas nous-même sermonné sur le ton du « il faut que ». « Il faut que j’arrête d’avoir des avis sur les gens, d’avoir tout le temps des commentaires à faire sur eux, de relever systématiquement tel ou tel défaut, de me montrer critique », et que sais-je encore ! Probablement toutes ses injonctions sont-elles restées vaines. Elles sont centrées sur nos seules forces et leurs effets, comme nos ressources, restent limités.
Ce que nous apprend l’exemple du sculpteur Jean-Pierre Augier, c’est que tout est une question de regard. Des avis, des estimations, des appréciations, j’en aurai toujours à propos des autres. A moins de devenir indifférent, il en est difficile autrement ! Mais la charge de ce regard peut fermer ou ouvrir une route ; contribuer à construire ou à détruire une personnalité ; donner envie et confiance à l’autre en vue d’un changement ou alimenter ses résistances, etc. Apprendre à ne pas juger, ce serait donc apprendre à changer de regard, à voir au-delà de l’immédiat, du visible et même du tangible.
Je ne doute pas que le sculpteur aime son art et aime les matériaux avec lesquels il travaille pour parvenir à ce résultat. Oui, je crois que l’amour est au cœur de cette démarche de croissance. Que ce soit l’amour de Dieu envers nous, en vue d’une croissance personnelle, ou l’amour de Dieu envers les autres et, si nous le voulons bien, à travers nous en vue d’entretenir un tissu relationnel de qualité. Ainsi, je ne suis pas laissé seul avec moi-même face à un impossible défi. Tel l’artiste puisant sa force dans un art qui le dépasse, plus je me rapproche de Dieu, plus je renouvelle ce regard sur l’autre. ... lire la suite
Deux couples d’amis viennent d’inaugurer leur maison. Je découvre chez le premier un vaste salon, des meubles élégants et sobres, une terrasse bien aménagée. L’autre dévoile sur Facebook les mêmes lignes épurées, les mêmes fauteuils carrés, les mêmes couleurs. Certes, les lieux sont moins spacieux et les fournisseurs peut-être moins prestigieux. Les deux couples n’évoluent pas dans le même contexte socio-professionnel. Le budget n’est donc pas le même. Il est d’autant plus troublant de constater combien les projets se ressemblent, d’un point de vue esthétique. Traversés malgré nous par les tendances du moment, nos rêves sont soumis aux lois de la mode et du marché.
Cela s’est exprimé de manière visible dans les maisons respectives de ces deux couples d’amis. Mais… qu’en est-il de la direction que nous donnons à nos vies, de manière beaucoup moins apparente ? Dans quelle mesure notre projet de vie, au sens le plus global du terme, est-il influencé par ce que nous percevons de la vie des stars dans les magazines ? Par ce droit au bonheur qui fleurit en couverture de certains ouvrages consacrés au développement personnel ? Au-delà des idées et des personnalités médiatiques qui caractérisent une époque, est-il possible de construire un projet de vie singulier, je veux dire par là « original », un projet de vie qui correspond à qui je suis vraiment ?
Les tableaux si personnels et pourtant si semblables des maisons de mes amis m’ont poussée à m’interroger. Ils m’ont fait revenir à ce que je tente de mettre au centre de mon existence : l’Évangile, et à l’influence de son message. Nouvel étonnement : 2000 ans après la venue du Christ en ce monde, l’exemple qu’il a donné n’a rien perdu de ses effets décapants ! Je le trouve toujours aussi bousculant et peut-être excitant. Le souci de Jésus n’a jamais été d’être à la mode. C’est sans doute pour cette raison qu’il n’a jamais été considéré comme ringard non plus. L’Église peut être considérée comme dépassée, mais Jésus reste inclassable dans l’histoire. Bien sûr, on peut ne pas être d’accord avec lui, ne pas être intéressé, ne pas croire que le chemin qu’il propose va changer le monde.
Pourtant, son engagement, sa disponibilité, son inversement des valeurs liées à la réussite inspirent toujours une partie de l’humanité. En ce sens, je dirais que le projet dans lequel il nous propose d’entrer est intemporel. Non seulement il est intemporel mais en plus, il est sur-mesure pour chacun d’entre nous. C’est à mes yeux sa plus grande force. En quoi consiste ce projet ? En grande partie de ce que nous sommes prêts à y mettre et à la qualité de notre collaboration avec Dieu pour le construire. Il y a simplement un cadre, des balises, des repères. Il n’y a ni plan déjà tracé, ni passe-partout pour ouvrir les portes qu’on veut quand on veut. Juste un espace de création à découvrir, à explorer et à exploiter.
Et je crois que malgré tout ce qui n’a pas marché dans notre vie comme nous l’aurions voulu ; malgré tout ce que nous n’avons pas choisi et dont nous subissons les effets jour après jour, cet espace est encore celui de la liberté, le seul qui reste quand les hommes et les circonstances sont contre nous. Même, et peut-être surtout, si nous sommes des victimes. Le plan s’adapte pour ne pas nous laisser dans l’impasse, pour peu que nous soyons d’accord avec cette approche.... lire la suite
Que signifie être ouvert à l’autre ? Accueillir l’autre ? Je veux dire d’un point de vue concret, je ne parle pas des déclarations de principe. La plupart du temps, nous voulons bien rencontrer celui qui est différent à condition qu’il vienne jusqu’à nous. Nous voulons bien l’accueillir à condition que cela ne nous oblige pas à sortir de notre zone de confort. Mais dans ce cas, peut-on véritablement parler d’accueil ? Ou, pour être moins sévère, pouvons-nous nous contenter de cette forme d’accueil ?
Certes, l’épreuve a l’avantage d’être bien balisée. Tout invité qui débarque dans une nouvelle maison est censé se soumettre aux habitudes et aux règles qui en régissent la vie. Lorsqu’on n’est pas chez soi, on s’adapte. On se fait silencieux, discret : ni commentaire, ni critique ; tout juste ose-t-on demander le sel s’il n’est pas déjà sur la table… Ainsi, faire venir l’autre jusqu’à nous est une façon de neutraliser sa différence, de canaliser ce qui peut éventuellement nous déranger chez lui. C’est une stratégie qui donne en général des résultats assez proches de ce à quoi l’on s’attend. Toutefois, si elle n’est pas à jeter, elle n’est pas forcément à cultiver dans la mesure où elle peut dénoter la peur. La peur d’être compromis si je rencontre l’autre sur son terrain ; la peur d’être décontenancé, trompé, mis en difficulté, contaminé, pris en faute… Bref, on se sent tous plus sûr de soi quand on est en terre connue et qu’on maîtrise les règles du jeu !
Pourtant pour arriver à la rencontre qui transforme, qui décentre, qui rend plus vivants les deux êtres en présence, il n’y a pas d’autre moyen que de sortir de son périmètre de sécurité. Pour dépasser les fausses idées et les fausses appréhensions ; pour prendre la mesure de qui est l’autre vraiment. Pour que je le touche et que je sois touché par lui, je n’ai pas trouvé de moyen plus efficace que d’aller sur son terrain. Non pas au détriment de tous les codes de la politesse, bien sûr ! Mais en osant m’intéresser à ce qui se passe de son côté, dans sa zone de confort à lui. En un mot, en prenant le risque de la fraternité. Le risque ? Oui, forcément ! Sous ce joli mot de « fraternité », qu’on a raison de remettre au goût du jour, il y a le risque d’être déçu, blessé… Rejeté, qui sait ?
Vu sous cet angle, je saisis mieux le devoir d’hospitalité des juifs et pourquoi les textes de la Bible qui relatent de tels épisodes sont si nombreux. Plus encore, je regarde l’exemple du Christ sous un œil neuf : je comprends pourquoi il a fait le choix de vivre sans toit à lui ni à ses disciples. En effet, Jésus n’a jamais eu de maison ni même de tente où il aurait pu recevoir ses invités et autres gens de passage. Non, il a opté pour l’inconfort de l’itinérance, l’imprudence des routes. Et sans doute les gens allaient-ils d’autant plus volontiers vers lui qu’il n’y avait même pas de seuil à franchir ! Dans ce contact privilégié avec autrui, on apprend qui il est (on apprend qui on est aussi) et on peut alors véritablement s’ouvrir à lui, au-delà des idées reçues et des garde-fous qu’on est très tôt tenté de mettre en place. En fait, le meilleur accueil commence peut-être en s’invitant chez toute personne qui voudra bien nous recevoir…... lire la suite
J’ai déjà entendu reprocher aux chrétiens d’avoir la foi parce que cela leur permettait de trouver des réponses faciles aux grandes questions de l’existence. D’où vient la vie ? De la volonté d’un Dieu créateur. Quel est son sens ? L’amour, de Dieu, de soi, de son prochain. Que devient-on après la mort ? Ceux qui auront cru iront au ciel. Voilà réglées en trois phrases et quelques mots les plus grands mystères que soulève notre passage sur terre. Ainsi, nos croyances seraient des « prêt-à-penser ». C’est peut-être le cas pour ceux qui, de crainte de découvrir de nouvelles interrogations, cessent de réfléchir et préfèrent se laisser bercer par le ronronnement de leurs certitudes. Pas pour tous ! Mais alors, à quoi sert la foi si ce n’est à résoudre nos angoisses et nos douleurs, à fabriquer du miracle à la chaîne et à mettre dans nos cœurs une joie béate, prompte à trouver du sens dans l’épreuve la plus injuste ?
Ni Dieu, ni la Bible, ni la foi ne m’ont jamais apporté de recette. Au contraire, si les textes sacrés et ma relation avec Dieu ont éclairé mon chemin, ils ont aussi suscité des interrogations que je n’aurais jamais eues autrement. En fait, il n’y a d’évidences pour personne face à la vie, même pas pour le chrétien. Seulement des manières différentes d’aborder les événements qui nous arrivent. Ainsi, ma foi m’aide à affronter l’infini questionnement de l’existence sans qu’il m’empêche d’avancer et de construire un parcours. Elle me permet de garder un cap, une espérance et éventuellement, de partager un peu de cette sérénité et de cette joie. C’est sans doute là, dans un quotidien microscopique, loin du spectaculaire, que s’opèrent le plus fréquemment des miracles.
Il y a des instants de grâce au milieu des galères, une paix possible dans la tempête, mais jamais une assurance tout risque qu’on paierait au prix de nos bonnes œuvres. Jamais des certitudes qui nous permettraient de nous affranchir de tout raisonnement. Jamais des solutions qu’il suffirait de transposer d’une vie à l’autre pour que la petite mécanique de nos existences reste bien huilée. L’inquiétude de demain est peut-être toujours là, à côté des projets en attente, des espoirs déçus… mais avec Dieu, l’énergie pour y faire face est étrangement au rendez-vous. Voilà encore un miracle !
S’il en était autrement, Jésus n’aurait pas appelé le Saint-Esprit « le Consolateur »1. Il ne peut y avoir de consolation que s’il y a une tristesse. Cette tristesse, c’est d’abord celle de l’absence, au moment où le Christ laisse ses disciples pour monter au ciel. Mais c’est aussi celle que suscitent nos deuils, nos souffrances, nos traumatismes, nos incompréhensions, nos problèmes non résolus… Tout cela existe bel et bien et continuera hélas d’exister dans le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui. Dieu ne nous demande pas de couvrir les Tchernobyl qui bouleversent nos vies d’un sarcophage de béton (illusoirement hermétique). Il ne nous demande pas d’aborder l’adversité dans une attitude héroïque, sur le mode du « un chrétien doit être toujours joyeux ». Sinon, cela signifie que nous n’avons pas besoin du Consolateur, voire que nous lui barrons la route. Ce serait, je crois, nous priver de la seule présence capable de faire contrepoids à toutes nos difficultés.... lire la suite
La polémique est encore fraîche, même pas encore tout à fait retombée. Bertrand Cantat, le chanteur de Noir désir, peut-il remonter sur scène ? Après avoir été condamné à une peine huit ans de prison pour le meurtre de son ex-compagne, l’actrice Marie Trintignant, et en avoir effectivement accompli quatre, l’artiste se produit à nouveau devant ses fans. Nombre de manifestants se sont rassemblés devant les salles de concert pour exiger l’annulation du spectacle ou tout simplement clamer leur désaccord, leur révolte, leur dégoût peut-être. Quelle attitude adopter quand on a purgé sa peine – fut-elle jugée trop légère, mais alors il faudrait s’en prendre à la justice – et qu’on est une personnalité publique ? Je n’ai pas la prétention de trancher la question.
Face à la vindicte populaire, Bertrand Cantat a choisi de répondre en lançant des baiser à la foule en colère. Exceptionnel geste d’apaisement ou ultime manipulation ? Parmi les manifestants, une jeune femme à qui il est venu tendre la main a choisi de ne pas la lui serrer. Le chanteur a alors pris son visage entre ses mains pour lui déposer un baiser sur le front. Interrogée à la radio, la jeune femme a exprimé un mécontentement sans nuance. Sa surprise n’avait pas laissé place à la moindre indulgence. Et de raconter ce qu’elle avait ressenti à l’idée que les mêmes mains avaient frappé Marie Trintignant.
Ces mains, capables du pire et du meilleur, je dois vous avouer que ce sont les miennes. Elles sont à l’image de mon être tout entier : rempli de charité, de patience, de bienveillance à l’égard des autres, surtout quand tout va bien, et pourtant si prompt à basculer dès que surgit une contrariété ! Sans doute moi aussi suis-je capable de semer la confusion entre une caresse sincère et une caresse instrumentalisée, pour tenter de regagner ce que j’ai perdu…
Ces considérations n’ont pas valeur d’analyse sur le geste du chanteur– lui seul sait l’intention qu’il y met. Mais cet épisode et le commentaire qu’en a fait la jeune femme me renvoient inévitablement à moi-même ; m’interrogent sur les forces présentes en moi et le combat qu’elles se livrent parfois. Qui peut prétendre qu’il aurait fait mieux qu’un autre ? Le défi est plus difficile qu’on ne l’imagine. D’ailleurs, dans la Bible, l’apôtre Paul lui-même reconnaît qu’il ne fait pas le bien qu’il voudrait faire… et fait le mal qu’il ne voudrait pas faire !
Contrainte à la modestie, il m’arrive d’en être affligée. Oui, il me faut renoncer aux grands engagements et aux belles déclarations. Cela n’a vraiment rien de glorieux. Cependant, c’est un infini soulagement que d’être délestée d’une pression morale trop grande pour moi. En effet, si mes intentions sont bonnes, mon comportement n’est pas toujours à la hauteur. De ce soulagement ne découle pas une espèce de débauche mais une liberté qui me donne envie d’aller de l’avant, de souscrire à la loi d’amour de Dieu parce que c’est autant une promesse qu’un projet pour ma vie. Avec Dieu, mes mains peuvent chaque jour révéler ce qu’il y a de meilleur en moi. Et c’est un choix à la portée de chacun d’entre nous.... lire la suite
Dans les milieux religieux, la fidélité est parfois, souvent vue comme un devoir radical. On est fidèle à Dieu ou on ne l’est pas, il n’y a pas de demi-mesure. Cette fidélité extrême, absolue, éclaire d’ailleurs en partie les intégrismes de toutes obédiences. Rappelons cependant que la nature des idées auxquelles on adhère peut tâcher le joli mot de « fidélité » de sang… D’autres encore voient dans la fidélité à Dieu une exigence morale si élevée qu’ils abandonnent tout de suite. Ils peuvent continuer à adhérer à certaines valeurs (ou principes) en paroles tout en se trouvant de nombreuses excuses pour ne pas les vivre… En tout cas, plus la barre est placée haut, plus l’être humain a tendance à radicaliser ses idées et sa pratique, dans l’illusion d’avancer vers une ultime fidélité. Dieu, et je crois que c’est vrai quel que soit le nom qu’on lui donne, peut alors paraître violent, excessif, exigent, abusif.
Dans la Bible, une histoire remet pourtant complètement en cause cette vision radicale de la fidélité à Dieu, comme un bloc uni et indivisible. Elle nous montre que Dieu connaît mieux que quiconque les faiblesses de l’être humain. Et aussi, que nous avons parfois plus d’exigences envers nous-mêmes ou envers nos semblables que Dieu en personne ! Il s’agit du récit qui rapporte comment Naaman, un homme païen, rencontre Dieu. Cet homme, un guerrier valeureux, est atteint de la lèpre et sur la foi d’une petite servante juive capturée par son camp, il va se rendre en terre d’Israël pour consulter un prophète susceptible de le guérir. Que lui ordonne l’homme de Dieu, une fois sur place ? De se laver sept fois dans le fleuve pour redevenir pur. Naaman, qui a fait plusieurs jours de route pour venir jusqu’à lui, ne comprend pas ce que les eaux d’Israël ont de plus que celles qui coulent dans son pays… Il est prêt à rebrousser chemin devant cette recommandation dépourvue de sens.
Finalement, Naaman ira se tremper sept fois, mais à contre cœur et sans y croire. Pourtant, le miracle s’accomplit. Voilà alors cet homme convaincu : c’est Dieu qui a permis une guérison aussi improbable ! Et il décide de lui être fidèle… Sa vie change certes beaucoup mais Naaman ne va pas jusqu’au bout. Sans doute, comme tout être humain, n’a-t-il pas une compréhension parfaite de qui est Dieu et de ce qu’il attend ? Il désire être fidèle à Dieu et cesse dès lors de sacrifier aux idoles de son peuple. Mais quand il accompagne son maître au temple de Rimmon, une divinité païenne, il est obligé de se prosterner en même temps que lui. Il raconte cela au prophète et que lui dit l’homme de Dieu ? Il ne lui répond pas : « Ce n’est pas grave, cela ne change rien » ou « Mieux vaut quitter ton patron et ton emploi plutôt que de faire cela ». Non, le prophète lui dit : « Va en paix ».
Ainsi en est-il de la fidélité à Dieu encore aujourd’hui : ce n’est pas un bouquet d’exigences que nous sommes sommés de prendre à bras le corps une fois pour toutes, mais un chemin. Ce n’est pas un état que nous embrassons du jour au lendemain, mais un état d’esprit qui progresse en nous et nous fait progresser. Comme Naaman, Dieu nous accepte quelle que soit l’étape où en nous sommes.
Pour ceux qui voudraient lire l’histoire de Naaman, que j’ai beaucoup simplifié pour les besoins de cette chronique, vous pouvez la retrouver dans la Bible. Elle se trouve dans la première partie, l’Ancien Testament, et dans le livre intitulé 2 Rois, au chapitre 5.... lire la suite
On se prépare à sortir, on prépare son mariage, on prépare un voyage, on prépare son cartable, on se prépare à se coucher, on se prépare à passer à table… La banalité quotidienne est ponctuée d’événements qui exigent qu’on les anticipe et qu’on travaille à réunir les meilleures conditions pour leur réalisation. Et plus l’événement est important, plus la préparation l’est aussi ! Comme une façon de s’assurer du bon déroulement des choses… L’art du préparatif est ainsi un gage de sagesse ; le signe qu’on ne se lance pas à l’aventure sans avoir mûrement réfléchi ni sans avoir patiemment pesé le pour et le contre, les avantages et les inconvénients, les coûts et les bénéfices. Celui qui se laisse gouverner par sa spontanéité se l’entendra tôt ou tard reprocher : il s’est précipité, son engagement ne sera qu’un feu de paille, ce n’est qu’un coup de tête, etc. Tandis que le sage, lui, prend le temps. Il envisage à l’avance les obstacles possibles, les risques et les gains.
Mais dans certains cas de figure, il est tout simplement impossible de se préparer. On peut ainsi être surpris par un « coup du sort » que nul signe avant-coureur ne laissait entrevoir. Même ceux qui savent qu’un des leurs est proche de la mort disent qu’on n’est jamais prêt au vide de l’absence, par exemple. Pourtant, en nous mettant devant le fait accompli, la vie nous somme d’assumer notre condition humaine, qui consiste à reconnaître que nous ne maîtrisons pas le fil de l’existence. Car hélas, toutes les préparations du monde ne peuvent nous donner le pouvoir de décider du cours des événements…
Non, la préparation n’est pas toujours possible. Elle n’est pas toujours souhaitable, si nous voulons garder une souplesse d’adaptation face à la vie. Elle n’est pas non plus une garantie de réussite. Elle nous paralyse aussi, parfois, dans d’interminables préliminaires, nous faisant passer à côté de l’essentiel. Le Christ avait bien compris tout cela. D’ailleurs, l’appel à l’un de ses disciples (dont le nom n’est pas donné dans le texte biblique) résonne comme un éloge de l’impréparation. « Laisse les morts ensevelir les morts », répond-il à ce fils soucieux de ne pas quitter brutalement ses parents pour le suivre. Pourtant, quoi de plus naturel et de plus légitime ? Quoi de plus sage ? Changer radicalement de vie pour suivre Jésus, cela ne peut pas se faire sur un coup de tête ! Il faut un minimum de préparation, aménager la transition et mettre dans sa besace quelques affaires auxquelles on tient.
Mais Jésus sait que rien ne peut véritablement préparer à l’aventure qu’il propose. Mieux, il sait qu’accepter de ne pas pouvoir se préparer correctement est le signe suprême qu’on est prêt. Prêt à quoi ? Prêt à suivre son modèle déroutant de charité et de pardon. En effet, dans cette mission Jésus n’a pas besoin de femmes et d’hommes parfaits – même pas perfectionnistes ! Il a besoin de cœurs employés au service des autres. Un service gratuit et sans discrimination, qui peut aller jusqu’à donner sa vie. Qui peut raisonnablement affirmer être prêt à cela ? C’est en chemin, dans la fragilité d’un engagement qui se renouvelle chaque jour, que nous nous préparons à aimer vraiment et à rencontrer Dieu. Tels des pierres qui, contrairement à ce que dit le proverbe, roulent et amassent mousse.... lire la suite
Le parlement israélien vient d’annoncer qu’il avait adopté en première lecture un projet de loi autorisant les tribunaux militaires à condamner à mort les terroristes.
J’aimerais aller au-delà des considérations morales qu’implique le sujet et qui, je pense, sont partagées par la plupart d’entre nous. En effet, donner la mort n’est pas anodin. En outre, la lourdeur des sanctions n’a jamais diminué la criminalité et la violence dans un pays. D’un point de vue biblique ou tout simplement humain, on peut aussi considérer que nul n’est légitime à ôter la vie à un semblable, fut-ce au nom de la justice. Alors pourquoi certains sont-ils tentés par des sentences radicales ? Qu’est-ce que cela peut bien dire de nous, êtres humains, et de nos peurs ? Croirions-nous conjurer le sort en punissant avec force le crime ? Ou nous sentons-nous consolés par avance, si le mal devait s’abattre, en songeant qu’il serait puni le plus durement possible ?
Combien de fois ne sommes-nous pas tentés, dans nos vies, de prendre des mesures définitives ! Vous comprendrez que je quitte ici le monde des tribunaux pour entrer dans le quotidien et examiner les choses sur un plan plus symbolique que juridique. Néanmoins, nos jugements n’en sont parfois pas moins radicaux. Fini de parler à telle personne qui passe à côté de mon mal être en me disant que j’ai tout pour être heureuse ! Terminés, les efforts vis-à-vis de cet incapable qui ne comprend jamais rien à rien ! Dehors, les pleurnicheurs qui accaparent mon temps pour se faire plaindre ! Et silence significatif devant le collègue exaspérant que je ne peux malheureusement pas complètement éjecter de ma vie. Nos jugements sont partout. Ne serait-ce pas autant de peines de mort, dans le sens où la personne est identifiée dans un dysfonctionnement et rangée dans la boîte qui lui correspond, sans autre perspective ?
Je pense à une amie qui ne veut plus me voir depuis un rendez-vous manqué au musée. Mon organisation est trop brouillonne pour elle, je suis souvent en retard et, c’est du moins mon analyse, elle aurait voulu occuper une place plus importante parmi mes relations sociales. Je la comprends, et pour tout dire, je n’ai pas envie de débattre. Un ressenti ne peut guère se discuter. Mais en me classant dans une case, son verdict a contribué à enfoncer le clou de la fatalité. Certes, si je ne suis pas trop bête, je peux tenir compte de cet épisode pour changer, mais l’effort n’en est que moins évident.
Nos jugements sont autant de petites peines de mort qui obstruent le chemin de l’avenir. Certainement est-ce pour cette raison que le Christ a pris l’image de la paille que je pointe dans l’œil du voisin, tandis que j’ai une poutre dans le mien. Jésus ne dit pas que le voisin n’a rien dans son œil. Il m’invite à considérer d’abord ce qu’il y a dans le mien, et à le considérer comme si c’était toujours plus important que chez l’autre. Partant de là, comment juger ? Comment condamner ? Certes la vie sur terre ne peut se passer de justice et de tribunaux. Mais le Christ, indépendamment du fardeau que nous avons à porter (petits défauts ou actes graves), nous tend la main pour nous offrir une deuxième, une troisième… ou peut-être même une cinquantième chance. Comme il le fait pour chacun d’entre nous, il nous invite à le faire aussi pour les autres.... lire la suite
L’Union européenne a finalement décidé l’interdiction de la pêche par impulsion électrique. Les marins néerlandais étaient – depuis 2006 et jusqu’au mois dernier – les seuls à utiliser cette méthode. Il était question d’élargir l’expérimentation à tous les pays d’Europe mais c’est en sens inverse que l’UE a tranché. Désormais, aucun pêcheur ne pourra plus avoir recours aux filets électrifiés.
Le procédé était d’une efficacité trop redoutable, du genre à garantir le pactole à tous les coups ! Non seulement cela a créé pendant des années une situation de concurrence déloyale entre pêcheurs, ceux qui utilisaient ces filets et les autres, mais les ressources naturelles ont été maintenues sous pression. En outre, et cet argument est sans doute celui qui a convaincu Bruxelles, les poissons pêchés grâce à cette technique étaient souvent abîmés : selon une étude réalisée par les Pays Bas, 50 à 70 % des cabillauds, par exemple, avaient des blessures telles que des fractures de la colonne vertébrale. On a donc préféré renoncer à une innovation, que des ingénieurs s’étaient pourtant donné la peine de concevoir.
Inventer des techniques et les améliorer sans cesse pour rendre possible, simplifier ou rentabiliser des process, c’est un propre de l’être humain. Et il est rare que ce dernier renonce aux avantages immédiats que lui offre ce qu’il est capable de concevoir au profit d’une vue à long terme. Le désir de pousser ses connaissances ou la technologie le plus loin possible, de se montrer capable de lever tous les obstacles ou tout bonnement la curiosité sont de puissants moteurs. Lorsque l’humain recule devant l’usage d’une de ses inventions ou devant l’application d’une de ses nouvelles technologies, on peut s’étonner… Mais il est bon de savoir qu’il est éventuellement capable de renoncer.
Être en mesure d’intervenir sur la nature et, en même temps, d’envisager de retenir son propre geste, c’est un peu partager quelque chose de l’ordre du divin : le dilemme d’un Dieu qui peut tout mais ne veut pas tout. Et nous, quel monde, quelle société désirons-nous ? Dans quelle mesure ne sommes-nous pas aveuglés par l’illusion de notre toute-puissance, tels des enfants qui n’écoutent que leur envie ? Une catastrophe naturelle nous rappelle alors à notre humble rang de créature. Une créature qui a toute sa place dans la nature – et peut même la façonner pour et par son mode de vie, sa culture – mais qui n’en est pas le maître. Seulement une sorte de régisseur. Certains estimeront peut-être ce rôle dévalorisant. Pour ma part, je le trouve à ma mesure : je me sens décisionnaire, partie prenante de ce qui me concerne, mais aussi responsable et appelée à rester modeste.
C’est dans cette tension que s’inscrivent les débats actuels autour des lois de bioéthique. Entre le possible et le souhaitable, le présent et l’avenir, sans parler de tout ce que nous ne pouvons ni savoir ni prédire, espérons que médecins, chercheurs, éthiciens influenceront les meilleurs choix politiques. C’est encore dans cette tension que doit se poursuivre l’engagement pour lutter contre le réchauffement climatique. Décidément, notre rapport à la nature contribue fortement à déterminer notre qualité de vie et celle des générations futures !... lire la suite
Le langage est subtil. Vous avez sans doute déjà entendu parler du « petit coup de canif dans le contrat ». Ce petit accro de rien du tout, invisible à l’œil nu, qui ne suffit pas à déchirer ledit contrat et donc… ne fait de mal à personne. C’est ainsi qu’on désigne communément les histoires extra-conjugales mais cette expression conviendrait aussi très bien à ces centaines de micro-déchirures dans nos relations : avec un ami, dont on a un peu (un peu seulement) profité ; un collègue, envers qui on a manqué de loyauté ; un parent à qui on n’a pas dit toute la vérité… L’art du langage nous permet, grâce à un grand choix de mots et de figures de style, d’amoindrir les conséquences de nos actes et de considérer certaines erreurs comme négligeables. Nos petits arrangements en costume peuvent ainsi tranquillement se rendre au bal de la bonne conscience et trouver leur place auprès de nos désirs et de nos volontés légitimes.
Dans les faits, il y a certes des agissements, des décisions ou des paroles plus graves que d’autres. Mais dès lors que nous avons recours aux artifices de la langue pour en réduire (ou en exagérer aussi, d’ailleurs) la portée, nous ne sommes plus en paix avec nous-mêmes. Le problème n’est pas de l’ordre du langage mais bien de notre conscience, soumise au silence par quelque habile tournure. Nos expressions masquent autant qu’elles marquent l’écart entre notre morale et nos actes. Et ce, quelle que soit la frontière que nous traçons entre bien et mal. Que l’on soit croyant ou pas, qu’on place la limite un peu plus à droite ou un peu plus à gauche, que nous partagions ou non telles ou telles valeurs, nous avons tous une conception du bien et du mal, et nous faisons tous passer une ligne de démarcation entre les deux.
Nos tournures de phrases sur le mode du « petit coup de canif dans le contrat » servent à nous auto-déculpabiliser dans les cas où cette ligne est franchie sans trop de dommages apparents. Cela est préjudiciable, et pas seulement si nous sommes croyants et que nous nous regardons dans le miroir de Dieu. Cela est préjudiciable parce que dans le fond, notre conscience ne se laisse acheter par aucun euphémisme mais surtout, en évitant de considérer nos actes pour ce qu’ils sont, nous passons à côté de la possibilité de changer. Peut-être que certains n’en ont aucune envie, de changer, et s’estiment très bien comme ils sont. Pour moi, refuser de changer, ce serait comme traverser la vie en ayant pris l’autoroute tout du long, sans jamais avoir essayé d’autre chemin.
Comme modifier sa direction est parfois difficile et peut nécessiter de regarder en face, d’assumer, de vrais grands coups de poignards dans le contrat, voire un contrat en miettes, un contrat raturé, un contrat tâché de sang, Jésus est venu témoigner de son amour pour les pécheurs que nous sommes, sans hiérarchiser nos fautes. Cet amour inconditionnel, c’est la base, c’est le tremplin qui nous permet d’accéder à un pardon qui libère. Dieu met cet amour et ce pardon à la disposition de toute personne qui reconnaît en avoir besoin. ... lire la suite
On peut lire la Bible de mille manières. Je ne parle pas des interprétations que nous pouvons en faire mais de la place qu’on lui donne dans notre réflexion. Une question me paraît, à ce sujet, essentielle : le texte est-il le point de départ de ma réflexion ou ai-je déjà nourri une pensée qui me fait aboutir au texte ? Il me semble que le va-et-vient entre ces deux positions est le gage d’une approche vivante de ce que les chrétiens considèrent comme la parole de Dieu.
Dans le cas où je prends le texte comme point de départ, il m’éclaire, il me montre une voie – sans pour autant me dévoiler ce qui est au bout. Il murmure à mon oreille que c’est dans telle direction que je trouverai ce dont j’ai besoin. Dans l’autre cas de figure, j’ai déjà vu, vécu, perçu, pensé… et ce faisceau de considérations peut pointer vers un texte en particulier qui sera une clé de lecture de la situation. Mais le danger est de chercher dans la Bible la confirmation de ce que j’ai déjà mis en place, bien au fond de moi...
De fait, il est des solutions que je crois détenir parce que je sais déjà ce qu’il faut en penser. Je l’ai appris à l’église, mes parents me l’ont enseigné ou je l’ai entendu de la bouche de mon pasteur. Pourquoi prendre la peine d’examiner une question quand on a déjà la réponse ? Tel est le défaut des certitudes : elles rompent le mouvement de la vie pour nous offrir une assurance. Nous sommes soulagés de savoir d’avance quoi penser et donc comment réagir. Inutile de se laisser interpeler ! Je dirais même plus : avoir déjà la solution avant même que la question ne se présente, n’est-ce pas la garantie de ne jamais se tromper ?
Quelques vérités bien campées en moi peuvent me donner un sentiment protecteur. Mais pour que ce sentiment dure, il implique de cesser de s’interroger, de se fermer à d’éventuelles remises en cause et d’entretenir un rempart hermétique au mouvement perpétuel de l’existence. A l’inverse de cette attitude, on peut considérer que les réponses se trouvent chemin faisant et que, chemin faisant, elles peuvent évoluer, s’affiner, changer et me changer parce que je ne les possède pas. Voilà une chose qui me rassure vraiment : la possibilité, le droit de changer, d’être transformé et de transformer mon regard. Car c’est bien une parole de vie pour la vie. Or, par définition, la vie est mouvement.
Certains seront tentés de prédire qu’une telle approche ne peut que semer trouble et doute. Personnellement, elle m’a permis d’expérimenter la cohérence de cette parole qui me vient de Dieu. J’ai constaté sa résistance à l’épreuve des questions existentielles. Et si j’ai parfois changé d’avis, cela m’a permis de mieux connaître Dieu. Je crois que le chemin en vaut la peine !... lire la suite
On la loue, on la célèbre, on la chante : la différence est une richesse que politiques et artistes (pour ne parler que d’eux) s’accordent à valoriser. Du moins dans les discours. Et à condition qu’elle ne dérange pas trop. Mais qu’est-ce qu’une richesse dont on limite la portée ? Une qualité est-elle vraiment une qualité quand on lui impose de rester dans un cadre restreint ? On peut s’interroger… De fait, c’est aller un peu vite en besogne que de déclarer sans autre développement ou sans lien avec l’expérience que « la différence est une richesse ». L’expression est si galvaudée qu’elle ne vaut plus que pour elle-même, on oublie ce qu’elle recouvre potentiellement.
Et que recouvre-t-elle, justement ? D’abord que la différence est une source de tensions, sinon de conflits. Nous le vivons tous à des niveaux plus ou moins profonds avec notre conjoint, notre entourage, nos collègues. Nul besoin ici d’aller convoquer la figure de l’étranger croisé lors de nos lointains voyages. La différence s’exprime ici et maintenant, juste à côté de nous, et comme je le disais, elle est en premier lieu l’expérience du dérangement.
En effet, c’est toujours plus compliqué de fonctionner avec d’autres références, d’autres codes, d’autres coutumes que ceux qui nous paraissent si naturels – parce qu’ils sont dominants dans notre culture ou tout simplement parce que ce sont ceux avec lesquels nous avons grandi. Ainsi, j’ai eu l’occasion d’échanger avec des familles qui ont accueilli des migrants et les heures des différents repas, l’odeur de la nourriture, la nécessité d’expliquer pourquoi certaines denrées se trouvent sous plastique… Tout cela a rendu le quotidien difficile. Il a fallu se connaître et s’accepter avant d’éprouver du plaisir à être ensemble.
Ce chemin prend du temps. J’aime que l’autre le fasse vers moi. Je dirais même plus : dans la plupart des cas, je trouve normal que l’autre le fasse vers moi. Je ne l’envisage pas autrement. Mais si je m’investis, je ne vais pas seulement aller à la rencontre de mon interlocuteur. Je ne vais pas lui faire économiser la moitié du trajet. Au contraire, nos parcours vont se mêler plus intimement, nos décalages vont se multiplier et diminuer à la fois grâce à la dynamique de partage à laquelle nous aurons tous deux souscrits. A force d’observation, de discussions, de débats peut-être aussi, le déphasage qui nous séparait peut devenir notre espace commun, un monde habité par notre désir, notre curiosité, notre capacité à élargir nos vues.
Alors la différence peut constituer une richesse, mais elle ne se donne pas comme telle. Ce serait plus simple si tout était plus immédiat, et pourtant bien moins intéressant car nous n’aurions plus à faire l’effort de sortir de nous, de chez nous. « Elargis l'espace de ta tente ; qu'on déploie les couvertures de ta demeure : Ne retiens pas ! Allonge tes cordages, et affermis tes pieux ! », écrit le prophète du Premier Testament, Esaïe. Cette image est certainement moins parlante qu’à l’époque où il écrit et où la vie nomade est encore d’actualité. Mais elle est toujours valable. Pour que la différence soit réellement une richesse, nous ne pouvons renoncer à ouvrir les portes de notre intériorité et à être transformés. Y sommes-nous prêts ?... lire la suite
« Qui ne dit mot consent. » La sagesse populaire, qui peut se targuer d’avoir souvent raison, est en l’occurrence démentie par l’actualité qui a mis sur le devant de la scène médiatique : témoignages de femmes victimes de harcèlement et mesures gouvernementales pour lutter contre les violences faites aux femmes. Les expériences dont vous avez sans doute, comme moi, entendu le récit montrent que non : qui ne dit mot ne consent pas forcément. Il est des cas où le silence est un symptôme supplémentaire de la peur et de la stupeur qui envahissent les victimes d’abus. Dans le même temps, une fois de plus, cette réflexion nous renvoie à la force de la parole, qui sort les personnes abusées de leur statut de victimes.
Mais c’est moins de la valeur et du poids mots dont je veux parler, que de la notion de consentement. Jusqu’où quelqu’un doit-il résister et se battre pour démontrer qu’il ne consent pas ? Dans quelle mesure rendre les armes est-il synonyme d’un consentement libre et volontaire et non de l’usure, sous la pression ? Une loi à venir est censée déterminer un âge en-deçà duquel il deviendra impossible d’invoquer le consentement d’une personne pour justifier d’une relation sexuelle avec elle. Si la sexualité est un domaine où le non consentement peut prendre une tournure dramatique, c’est loin d’être le seul terrain sur lequel s’expriment – parfois à mots couverts – les rapports de force.
Il me semble que poser la question du consentement, c’est poser la question du temps. Si je suis prêt à lui laisser le temps de me donner sa réponse, je n’ai pas besoin de me demander si l’autre consent ou pas à ce que je lui propose. Sauf à faire face à une personne manipulatrice, qui envoie des messages contradictoires, ou à quelqu’un de pathologiquement indécis dont le discours est par définition confus, je n’ai pas de raison fondamentale de me tromper sur les dispositions de mon interlocuteur.
Mais si je suis taraudée par mon urgence personnelle, dominée par mon désir impérieux ou mon impatience, je ne puis que me soulager en reportant la pression sur l’autre. J’ai donc besoin d’une réponse de sa part et, soucieuse que cette réponse ne me fasse pas trop attendre, j’use de tous les arguments. C’est ainsi, pour reprendre une image de Balzac, le célèbre écrivain, qu’on finit par arracher des mains de quelqu’un ce qu’il était tout prêt à nous donner. Les limites se brouillent et nous profitons de l’opportunité pour saisir ce qui nous convient.
Dans la Bible, je me suis souvent demandé ce que Jésus avait bien pu dire à Pierre ou à Matthieu, par exemple, pour qu’ils acceptent de tout lâcher et de le suivre, comme instantanément. Les raisons ne sont jamais explicitées. Pour autant, l’adhésion des disciples est si pleine et entière qu’elle témoigne à mes yeux d’une détermination libre et personnelle à marcher avec leur maître.
Les chrétiens évoquent souvent l’urgence de confesser sa foi en Dieu. Qui sait de quoi demain sera fait ? Et c’est vrai. Pourtant, Jésus nous laisse le temps du consentement. S’il nous appelle, il ne nous tire pas incessamment par la manche. Il sait que la profondeur et la durée de notre engagement reposent, en partie, sur la qualité du consentement de départ. Accordons aux autres ce qu’il nous accorde dans notre relation avec lui.... lire la suite
L’affaire Weinstein a porté sur la place publique des agissements cachés et indignes d’un être humain envers ses semblables. Après les récits de harcèlement rapportés par des actrices, celui de femmes politiques puis d’autres encore, douloureusement inscrits dans le cadre familial, ont pu voir le jour. Déjà l’année dernière, une association a commencé à faire entendre des témoignages d’adultes qui, alors qu’ils étaient enfants, ont été abusé par des prêtres. Hélas, le temps de la parole est souvent en décalage par rapport au temps juridique : il existe un délai de prescription, actuellement remis en cause par des associations ou des personnalités, comme Flavie Flament.
Dans tous les cas, la prise de parole a un mérite inégalé : celui de faire sortir les personnes concernées du statut de victime. Car bien sûr, s’il faut reconnaître les victimes comme telles, ce n’est jamais que la première étape d’un long parcours qui sera peut-être, on l’espère, parcours de guérison. Mais parler, dire ce qui s’est passé, le raconter, en témoigner, c’est déjà reprendre en main son destin, reprendre un peu le dessus sur les peurs générées par les traumatismes et redevenir acteur d’une vie qui a été volée, parfois dès l’enfance, d’autres fois plus tard.
Ainsi, la parole enclenche un processus : nul ne peut plus dire qu’il n’a rien vu, qu’il ne savait pas. Cette prise de parole, qui n’a pas nécessairement besoin d’être publique, inaugure une nouvelle ère. Désormais, plus rien ne peut être comme avant. Même si les mots n’ont pas, en eux-mêmes, valeur de rédemption, ils permettent de (re)démarrer le moteur de la « vraie » vie. Une vie authentique, avec un avenir et de l’espoir.
Alors que la « parole d’honneur » n’a plus valeur de contrat depuis longtemps ; alors que les logiciels de montage (y compris amateurs) permettent facilement de falsifier des propos, il semblerait que la parole revête encore un intérêt fondamental. Elle a le pouvoir de frayer des chemins, de remettre des gens en route, d’obliger la justice à tendre l’oreille, de faire du bien.
La Bible, qui se présente comme parole de Dieu, a aussi cette vocation à engendrer de la vie, à rétablir le droit et même à créer du neuf. Car là où la parole humaine est contrainte, insuffisante, imparfaite, celle de Dieu ne connaît pas de limites. Et elle n’a pas de double tranchant négatif – contrairement à celle de l’homme, qui se fait parfois langue de vipère.
Par sa parole, Dieu relève, Dieu guérit, Dieu chasse la honte et la peur, Dieu ouvre des perspectives là où il y avait des impasses. Certes, cela n’efface pas les souffrances vécues – et parfois encore d’actualité – mais se saisir de la parole de Dieu est une force supplémentaire sur un chemin de lutte. Là où les humains refusent de donner réparation ou ne le peuvent plus ; là où l’injustice est trop grande, le préjudice trop lourd ; là où la parole ne trouve pas l’écho espéré, celle de Dieu réhabilite, redonne dignité et personnalité. Elle éclaire ce chemin initié dans le noir pour nous rapprocher de la lumière. ... lire la suite
Ah, cette paille dans l’œil de notre voisin ! Ce défaut qui nous obsède, cette mauvaise manière que nous trouvons inadmissible ! Nous serions si heureux, si soulagés de faire part à l’intéressé du fond de notre pensée que nous ne doutons pas un instant que cela lui soit utile. Il est si bon de juger ! Mais c’est oublier que la position n’a pas que des avantages, qu’elle implique aussi des responsabilités. Surtout, c’est oublier que nous ne sommes pas les seuls à occuper la place. Demain, c’est nous qui serons jugés... peut-être par ceux que nous avons condamnés hier.
Aussi, cette fameuse paille a son corolaire : une bonne vieille poutre, au milieu de notre œil à nous. Une poutre tellement grande qu’elle nous empêche d’être lucide sur notre propre cas. Paille et poutre semblent « faire la paire ». Du moins, l’une ne va pas sans l’autre. C’est presque une fatalité : si on repère une brindille, alors le gourdin ne doit pas être bien loin !
Cette image de la paille et de la poutre trouve son origine dans la Bible. Avant de passer dans le langage courant, l’expression est d’abord employée par le Christ. Sans doute la postérité l’a-t-elle estimée assez juste pour la consacrer et l’inscrire dans l’histoire. Force est de constater qu’elle pointe des tendances caractéristiques de l’être humain : remarquer ce qui ne va pas chez l’autre mais fermer les yeux ou rester aveugle à ce qui dysfonctionne chez soi.
Ce qui mérite d’être souligné, dans le texte biblique, c’est d’une part que Jésus ne se pose pas la question de savoir s’il est vrai que notre voisin a une paille dans son œil ou pas. La question n’est pas de savoir si nous avons raison de vouloir la lui enlever. C’est plutôt notre désir même d’aller taquiner la paille, de nous tourner vers notre prochain pour le critiquer (ouvertement ou dans son dos), qui pose problème.
D’autre part, à travers cette image, Jésus considère d’emblée (et il semble généraliser) que le défaut que nous pointons chez l’autre est bien plus supportable que notre mauvais caractère, notre impatience, notre manque d’amour ou notre égoïsme. Ce n’est pas le voisin qui a une poutre dans son œil et moi qui, comble de chance, n’ai qu’une petite paille. Pourtant, lorsque nous nous comparons aux autres – défaut, là aussi, tout ce qu’il y a de plus humain – pour les critiquer, la conclusion tourne toujours à notre avantage : « Heureusement que je ne suis pas aussi susceptible ! » ou « Si j’étais aussi lent qu’untel, on y serait encore ! »
La conclusion que le Christ, lui, tire de tout cela est que nous avons toujours quelque chose de plus important à nous reprocher que ce que nous avons repéré chez nos camarades. Toujours ? Mais oui, toujours ! Seul Dieu peut être sûr du contraire. Du coup, certains seront peut-être tentés par un simulacre d’humilité, qui restera au niveau du discours. Ce n’est pas ce que souhaite Jésus.
La qualité de nos rapports avec les autres dépend en fait de la qualité du rapport que nous entretenons avec nous-mêmes : suis-je aussi intransigeant envers moi-même qu’envers mes semblables ou, au contraire, oserai-je poser sur moi – et donc sur eux – un regard indulgent ? Tel est le regard que Dieu en personne pose sur chacun de nous.
En référence à Matthieu 7.3-5... lire la suite
J’aime l’imprévu dans ce qu’il peut avoir d’amusant, de nouveau, d’excitant. J’aime quand la précision de mon agenda est bousculée pour une bonne cause. J’aime marcher, comme le chante Joe Dassin, « le cœur ouvert à l’inconnu ». Surtout si cet inconnu est élégant, beau et aimable, avec de bonnes manières. Mais il arrive aussi que l’imprévu soit une catastrophe. Qu’à l’effervescence de la surprise se substituent la panique et la détresse. De fait, peu d’entre nous pourront dire, à la fin de leur vie, qu’ils ont traversé l’existence en se promenant les mains dans les poches. Pour autant, il n’existe pas de formation, pas de diplôme en management face aux aléas et aux drames existentiels. La vie se charge elle-même de nous faire passer par les rangs de son école, de nous transformer en gestionnaires de crise « sur le tas ».
Comme dans tous les métiers, chaque professionnel a ses méthodes, qu’il amende au fur et à mesure des expériences. Personnellement, j’ai appris qu’accueillir ce qui arrive est une manière de ne pas se laisser détruire, dévorer par l’adversité. L’acception, si souvent assimilée à une résignation, à la soumission à la fatalité, est à mes yeux un pont vers un avenir encore possible quand le miracle attendu n’a pas eu lieu, quand le deuil est irréversible, quand la tragédie l’emporte sur l’espoir. Avec Christiane Singer, j’ai acquis la certitude que « les catastrophes ne sont là que pour nous éviter le pire ». Ce sont ses mots à elle, morte d’un cancer foudroyant à l’âge de 64 ans.
Dans un monde où la vitesse avec laquelle s’enchaînent les événements peut éventuellement nous faire effleurer une certaine intensité de la vie, la profondeur de l’existence risque de nous rester inaccessible, aveugles que nous sommes à ce qui n’émerge pas directement sous nos yeux. La densité, le sens et donc une forme de vérité demeurent inatteignables, jusqu’à ce qu’une tuile ou même un parpaing nous assomme, nous oblige à nous asseoir, place sous nos yeux la vie et la mort et nous interroge sur le monde que nous voulons, la personne que nous voulons être, les ressources et les moyens que nous sommes prêts à mobiliser pour autant que nous voulions bien endosser la marge de liberté qui subsiste.
La catastrophe peut nous faire rester sous la couette pendant les longs jours d’un mal silencieux. Loin de moi l’idée de juger une attitude qui peut être la mienne. Elle peut aussi nous transformer, faire émerger de notre gourbi intérieur un moi nouveau, qui nous étonne par sa capacité à remailler le tissu vivant au-delà des cicatrices. Christiane Singer parlait d’éviter le pire. Un pire dont chacun donnera sa définition. Pour elle, c’était très clair : « Et y a-t-il pire que d’avoir traversé la vie sans houle et sans naufrage, d’être resté à la surface des choses, d’avoir dansé toute sa vie au bal des ombres ? », demande-t-elle dans son ouvrage Du bon usage des crises. Comme si les crises avaient une utilité. Plus encore, comme si elles avaient une bonne ou une mauvaise utilité selon la façon de les aborder.
Certains chrétiens ont coutume de voir dans l’adversité l’épreuve que Dieu leur envoie pour leur être utile. Personnellement, je ne crois pas que Dieu nous fasse du mal en vue de nous faire du bien. Mais grâce à lui, grâce à la force que donne la foi, le chrétien peut trouver l’utilité d’une crise qui n’a pas de sens en elle-même. En soi, cela est déjà un miracle.... lire la suite
Une rencontre improbable
La rencontre est étonnante. Le chanteur Stromae et le grand couturier Karl Lagerfeld ont été contactés par le journal Libération pour un entretien commun. C’est une idée originale de la rédaction, pour son édition du week-end, que de mettre en relation deux personnalités que les sphères d’intérêt et d’influence ont peu de chances de réunir. Petit coup de pouce au destin, la rencontre est arrangée. Mais de fil en aiguille, la curiosité aidant, les deux protagonistes se découvrent des points communs, et cette surprise est un plaisir qu’ils partagent avec les lecteurs.
Des rencontres insolites, imprévues ou intenses viennent parfois rythmer le cours de notre vie. Ou peut-être notre solitude est-elle devenue un manteau trop confortable pour que nous voulions bien nous en débarrasser un moment… Peut-être la conscience aigüe de notre vulnérabilité nous bloque. Ou encore, notre timidité a fini par nous persuader que nous ne sommes pas capables de trouver les bons mots au bon moment. Nous restons donc sur une réserve pudique, quitte à passer pour indifférents.
Dans les récits des évangiles, le Christ se risque souvent à des rencontres improbables. Il ne craint pas le mélange des genres, si bien qu’à travers son contact avec la femme samaritaine, le docteur de la loi Nicodème ou encore le jeune homme riche soucieux d’acquérir la vie éternelle, c’est un choc des cultures qui s’opère. Mais avec Jésus, l’événement ne s’en tient pas à ce qu’il peut avoir de gênant, de troublant, de violent. Il y a toujours, in fine, une parole qui construit, un encouragement, une réassurance émotionnelle et affective. Ce qui contribue à attirer à Jésus tous les handicapés, y compris les handicapés des relations sociales. Chacun peut être sûr de trouver auprès de lui un accueil inconditionnel.
Aussi, je suis toujours un peu décontenancée lorsque je lis, dans l’évangile de Marc, la rencontre du Christ avec la femme syro-phénicienne ou grecque. Donc une femme qui n’est pas de son bord. D’abord parce qu’elle n’est pas juive. Ensuite, parce que c’est une femme et qu’à l’époque, les relations avec le sexe opposé sont très balisées. Voilà une rencontre qui décape ! Sauf qu’ici, il n’y a personne pour organiser l’entrevue, faire les présentations, jouer les médiateurs. Dans un premier mouvement, Jésus semble même repousser l’importune. Comment cette femme, qu’il ne connaît pas, qui n’est même pas juive, a-t-elle pu se faufiler pour entrer dans la maison où il espérait profiter d’un repos largement mérité ?
Aucune des circonstances du récit n’est favorable à cette rencontre. Ce n’est pas le bon moment : Jésus est là incognito, en mode pause, espérant échapper pour quelques temps aux sollicitations. Ce n’est pas le bon lieu : il n’est pas dans le contexte amical d’une maison qu’il connaît ou d’une adresse familière. Personne n’est censé le trouver ici… Et nos deux protagonistes, un homme et une femme d’origine ethnique différente, ne devraient rien avoir à se dire. Pourtant l’échange a bien lieu et la femme obtient la réponse qu’elle attend. Soyons comme elle ! N’attendons pas que le contexte s’améliore, que les circonstances soient propices ou que quelqu’un nous appelle pour organiser un entretien. La rencontre avec le Christ peut avoir lieu ici et maintenant. ... lire la suite
Ils s’appellent Katia, Irma et José. Ce sont les trois ouragans qui ont sévi la semaine dernière dans la région des Antilles – îles qui, malheureusement, restent au premier plan de l’actualité avec l’arrivée de Maria. Dans le cadre de mon travail, je devais recueillir par téléphone un certain nombre de témoignages de personnes sur place, habitants et humanitaires.
Carnet de contacts dans une main et téléphone dans l’autre, j’ai réussi à trouver les bons interlocuteurs et leurs coordonnées. Il ne restait plus qu’à les joindre ! Ce qui n’est jamais une mince affaire dans de telles conditions… Les jours passent. Impossible d’avoir qui que ce soit. Nouvelle recherche de contacts, en espérant multiplier mes chances. Des noms supplémentaires s’ajoutent à ma liste mais toujours personne au bout du fil. Enfin, je reçois un mail de quelqu’un qui s’engage à me répondre le lendemain matin. C’est mon dernier recours, après cela je suis à court de pistes. A 7 heures, heure antillaise, la voix de l’homme se fait clairement entendre dans le combiné. Malheureusement, c’est pour me dire que l’urgence est trop grande pour discuter… J’ai à peine le temps de lui souhaiter bon courage que je me retrouve démunie face au silence et à une page vide qu’il va pourtant bien falloir remplir : le journal pour lequel je travaille part ce soir à l’impression.
Avant la course au plan B – qui heureusement aboutira – je voudrais m’attarder sur cet instant de latence. Tant de patience et d’énergie investies pour me retrouver sans rien à quelques heures du bouclage ! Mes interlocuteurs m’ont fait faux bond, un à un, et je me rends compte que je ne peux pas leur en vouloir. Je ne peux pas davantage m’en prendre à moi-même car j’ai mis en œuvre tout ce qui était en mon pouvoir.
Qui est donc responsable ? Cette météo tragique, qui n’est sensible qu’aux lois de la physique ? Dieu, qui a créé ces lois ? L’arborescence des responsabilités n’a de fin que celle que notre imagination veut bien lui donner. Il faut un objet pour nourrir notre colère, notre mécontentement ou notre insatisfaction. Un bouc émissaire contre lequel demander justice !
Je suis bientôt rattrapée dans mes réflexions par la nécessité d’écrire l’article qui m’a été commandé. Absorbés par la quête d’une solution, mon stress et ma frustration disparaissent. Cette recherche m’oblige à rester constructive malgré moi. Une réponse se dessine sous mes yeux, sans que je la voie vraiment. C’est vrai, l’assurance que Dieu accompagne chacun de nous quelle que soit la nature de nos difficultés aide grandement. Que cet épisode soit dramatique (pour ceux qui le vivent de l’autre côté de la planète) ou qu’il reste une anecdote banale dans la vie d’un journaliste, Dieu est là…
Ce qui est extraordinaire – mais cela n’est perceptible qu’après coup, en regardant dans le rétroviseur – c’est la façon dont les cartes sont redistribuées dès lors que je ne cherche plus le coupable mais celui qui sera mon secours. Dieu n’est pas ce tout-puissant capricieux contre lequel diriger mes reproches, mais l’agent principal de la solution, le sauveur de la situation ! Il n’est pas mon bouc émissaire mais le berger qui me conduit.... lire la suite
Une fois que l’avion a décollé sans nous, que le conjoint a fait sa valise et a claqué la porte derrière lui, que l’hôpital est devenu une case incontournable de notre parcours de lutte contre la maladie… que reste-t-il des prières adressées au ciel ? de nos suppliques et des promesses de vie de la Bible ? La suite logique serait d’en conclure – au mieux – qu’on s’est trompé : trompé de croyances, trompé de Dieu, trompé de mots dans nos échanges avec lui, ou – au pire – qu’on a été abusé par une espérance irréaliste et irréalisable.
Dans cette nuit qui n’aura pas de fin, si ce n’est avec la réponse à nos questions, la lueur de la grâce reste pourtant allumée quelque part. Non, ce n’est pas une lampe magique – il ne suffit pas de frotter pour faire un vœu. Mais la flamme est encore là, inédite, prête à la confrontation avec nos tempêtes intérieures. Cette grâce n’aurait-elle plus rien à nous dire dès lors que nous n’avons pas obtenu la réponse, voire le résultat attendus ? Mais dans ce cas, il s’agirait d’une grâce jetable, qui s’use au fil des épreuves, oxydable si elle reste trop exposée aux événements de la vie… Alors oui, je pourrais considérer que dans la difficulté, cette grâce-là n’a plus rien à me dire.
Il y a cependant une autre alternative, qui consiste non pas à se laisser happer par les circonstances et à partir de l’inventaire de nos douleurs, mais à partir du postulat que cette grâce demeure la même quel que soit le contexte, que sa force reste identique, qu’elle a toujours quelque chose à me dire. Si tel est le point de départ de mon raisonnement – et non plus la blessure qui m’a été infligée – alors je peux éprouver et trouver ce que cette grâce a à m’apporter personnellement. Je peux ouvrir les yeux sur des éléments de réponse, des manifestations d’amour et de consolation que Dieu m’envoie.
Ce postulat de base, qui est celui d’une grâce impérissable, valable en tout temps et en tout lieu, n’est pas un optimisme. Ce n’est pas non plus une consolation pour les idiots. Car elle n’a pas fait taire mes interrogations. Elle n’a pas mis fin à mes réflexions. Elle m’a simplement permis de les vivre sans m’épuiser ; de continuer à avancer sans qu’elles me tirent vers le bas ; d’accepter que la vie reprenne ses droits sans me sentir flouée. Et ce n’est déjà pas si mal ! Dans l’immédiat, cela me permet de revenir à un quotidien gérable, voire serein, voire heureux.
A un horizon plus lointain, cette grâce est mon espérance. Elle me dit que quelles que soient les difficultés de ce monde, ma place dans le royaume de Dieu reste intacte. Comme il l’a exprimé à l’apôtre Paul, je peux entendre Dieu me murmurer : « Ma grâce te suffit ». J’ai longtemps cru que ces paroles devaient rendre muette ma plainte. Aujourd’hui, je la lis moins comme une déclaration à laquelle je dois souscrire que comme une espérance. Une espérance en deux dimensions : elle m’ouvre les yeux pour continuer à voir, ici et maintenant, la présence de Dieu auprès de moi quoi qu’il se passe, et elle m’ouvre un chemin, le chemin qui mène à son royaume.... lire la suite
Il y a des expressions « tendance » comme il y a des vêtements, des couleurs, des matières et des formes « tendance ». Oui, le langage aussi a sa mode ! Je suis sûre que nous avons tous remarqué et utilisé des termes comme « y’a pas de souci » ou « c’est juste génial ». Depuis quelques temps, c’est comme si la collection s’était enrichie d’un nouveau modèle : « j’assume ». Voilà une bonne formule pour clore le bec à un interlocuteur dont les propos viendraient déranger ma petite routine !
Mais un usage abusif conduit toujours à usure précoce. Ainsi, l’effet de ces expressions « tendance », censées mettre l’emphase sur une idée, finit par s’éroder. Là où on voulait porter l’accent, on finit par faire simplement sourire. C’est encore plus vrai et encore plus gênant avec ce « j’assume », qui nous implique personnellement. Assumer, c’est regarder dans les yeux une réalité qui est difficile à porter ; une vérité qui déplaît ; un passé qu’il est trop tard pour changer. C’est accepter d’endosser sa part de responsabilité et, comme la vie avance, accepter d’avancer avec elle.
Distribuer du « j’assume » à tout bout de champ en espérant asséner une réponse définitive qui me débarrasse des gêneurs, c’est galvauder cette expression. Non seulement c’est en abuser mais cela masque souvent un refus de se remettre en cause, sans pour autant avoir réfléchi à ce qu’assumer implique à ce moment précis. Sous couvert d’assumer, on endosse en fait des responsabilités au rabais qu’on ne s’est pas donné la peine de peser. On se dérobe au reproche et on échappe à la remise en question. A quel prix ? Souvent celui de se détourner d’autrui pour mieux continuer à servir nos intérêts, à écouter notre bon plaisir, à suivre notre habitude...
Quand j’entends un « j’assume » faire écho à cela, je dois dire que c’est un peu comme si j’avais mal. Et j’ai d’abord mal pour la personne qui le dit, si j’ai l’impression qu’elle se défile dans ce travers de langage. Si finalement, sa façon d’assumer est de mieux se voiler la face devant une réalité : « j’assume », autrement dit « je ne me pose pas de question, je ne regarde ni à droite ni à gauche – encore moins en arrière – et je continue ma route sans autre considération ». C’est la meilleure méthode pour avancer sans avancer ! Pour faire du kilomètre dans la vie sans cheminer intérieurement.
La Bible est pleine de personnes qui sont parties loin pour se trouver et connaître Dieu, mais aussi de gens qui, sans jamais quitter leur village natal, ont parcouru une route qui les a changés à tout jamais. Pour vivre ces expériences qui transforment, tous ont accepté ce qu’ils étaient : sourds, muets, aveugles, paralysés, au sens physique mais aussi psychique, émotionnel, spirituel… Ils n’ont pas dit : « j’assume » d’un ton désinvolte. Sinon, rien ne se serait passé. S’il y a une chose qu’ils ont assumée, c’est le choix de se laisser toucher (dans tous les sens du terme) par Dieu ou par son fils, Jésus. C’est un choix qui n’a pas toujours été bien accueilli autour d’eux. Mais c’est ainsi qu’ils se sont mis en route pour un voyage qu’il aurait été impossible de réaliser autrement.... lire la suite
On veut bien aider les autres, mais surtout ceux qui le méritent. Peut-être même exclusivement ceux qui font des efforts, qui témoignent de la reconnaissance, qui ont une personnalité sympathique. De prime abord, on a l’impression que ce n’est que justice ! Pourtant, quand on se donne la peine d’y réfléchir, et non seulement d’y réfléchir mais aussi de l’observer sur le terrain, les cas les plus difficiles (disons, ceux qui cumulent les handicaps comme quelqu’un de malade, pauvre, seul et jamais satisfait – et je vous assure que ça existe !) les cas les plus difficiles, donc, sont bien les plus à plaindre. Notre philosophie du mérite nous fait souvent passer à côté de la plus grande misère, celle dont on ne peut se sortir seul. Où est la justice ?
Où est la justice, encore, quand on n’est prêt qu’à aider ceux dont la situation s’améliore : un jeune qui se remet à travailler à l’école, un chômeur qui cesse de s’avachir devant la télé pour faire du sport, un pauvre qui arrête de boire et de fumer pour dépenser son argent autrement… ? Je ne veux pas dire par là que tous sont ainsi. Mais la personne s’aide plus ou moins elle-même selon les attitudes qu’elle adopte. Pouvons-nous cependant conditionner notre présence aux côtés de quelqu’un dans le besoin à ses efforts et à ses mérites ? Pouvons-nous nous contenter de visiter seulement les malades souriants et courageux ? Les personnes âgées accueillantes, qui ont de la conversation et ne se focalisent pas sur leurs problèmes de santé ? Les gens seuls qui sont cependant de bonne humeur et ne parlent pas que d’eux-mêmes, de leur petite vie, de leurs petits malheurs ?
En fin de compte, si nous donnons la priorité à ceux qui s’aident déjà eux-mêmes, c’est d’abord parce que cela est gratifiant pour nous. Parce que cela confirme, à nos propres yeux, le sens, l’intérêt, de notre démarche. Cela la rend aussi plus facile. Et nous prenons plaisir à voir notre reflet dans le miroir qui nous est tendu. C’est normal, c’est humain. Mais Dieu nous invite à aller au-delà de nos limites. Plus encore, il nous déroute en renversant nos valeurs : les plus méritants sont les plus humbles, des derniers se retrouvent parmi les premiers, le pacifisme pour répondre à la violence… Décidément, la sagesse de Dieu est bien folie pour l’être humain !
Forts de cet enseignement, c’est précisément vers ceux qui le méritent le moins que devraient se tourner nos efforts. Je me souviens d’un ami pédiatre qui a constaté que sa « patientèle » se composait d’un petit pourcentage, ni plus ni moins que la moyenne, de gens rouspéteurs, agressifs, exigeants. Suivant cette invitation de l’apôtre Paul : « Par amour fraternel, soyez pleins d’affection les uns pour les autres, usez de prévenances réciproques » (Romains 12), il a décidé de leur porter une attention particulière. Au fil des ans, ce sont les personnes avec lesquelles il a noué les meilleures relations ! Son exemple, concret et vécu, nous rappelle que Jésus est venu tel un médecin, c’est-à-dire pour soigner les malades et non les bien portants. Que ce soit au sens physique, psychique ou spirituel. Si nous ne nous préoccupons que de ceux qui, dans leur malheur, restent de bonne volonté… que faisons-nous d’extraordinaire ? Autrement dit, quel est notre mérite ?... lire la suite
Le droit au bonheur, le droit à l’enfant, le droit d’avoir sa part d’amour... Pour rendre le monde plus juste, nous mettons la vie au pied du mur et nous la sommons de se soumettre. Nous parlons de droit, comme si c’était à mettre sur le même plan que le droit de vote, le droit à l’éducation ou même le droit à un niveau de vie décent. C’est oublier que si l’Etat peut faire respecter les dispositions prises par la loi, la loi de la vie, elle, s’applique en dehors de tout contrôle.
A avoir recours abusivement à la notion de droit, nous risquons de tomber dans l’absurde : pourquoi n’aurions-nous pas tous le droit de nous habiller chez Dior, le droit de rouler en voiture de luxe, le droit de partir en voyage à l’autre bout du monde, etc. ? Précisément parce que la question ne se pose pas en ces termes et que derrière une forme de justice (j’ai fait plus d’études donc je gagne plus donc j’ai accès à plus de possibilités) se cache l’injustice (nous ne sommes pas tous égaux à la naissance, nous n’avons pas tous le même QI, notre mérite n’est pas toujours pris en considération...).
Nous avons beau souscrire à des assurances, qui elles-mêmes souscrivent auprès d’autres assurances, nous ne pourrons jamais être indemnisés pour tous les dommages de la vie. Qu’est-ce qui peut réparer les dégâts existentiels d’une famille brisée, d’une entrée en guerre, du terrorisme... ? Pourtant, les Syriens et les Irakiens (pour ne parler que d’eux) n’ont-ils pas droit à la paix et au bonheur ?
Raisonner en termes de droit ne nous pousse à voir que ce qui nous manque. Ce n’est pas sans conséquences : nous n’apprécions pas à leur juste valeur les biens (matériels ou non) qui sont à notre portée, nous oublions d’être reconnaissants. A force de garder les yeux fixés sur ceux qui ont ce que nous aimerions avoir, nous perdons toute capacité à relativiser par rapport à ceux qui ont moins et qui ont besoin de nous. Pire, nous perdons conscience que rien de ce que nous possédons ou de ce que nous cherchons à posséder ne nous appartient vraiment ! Surtout, nous risquons de nous lancer dans un bras de fer avec la vie dont il ne peut rien sortir de constructif : qui peut exiger que l’existence lui donne un travail, une bon niveau de vie, une famille, de l’amour et du bonheur – quand bien même cela est légitime ?
S’il faut bien sûr continuer à se battre contre l’injustice et persévérer à obtenir ce qui nous est important, ce n’est pas parce que nous revendiquons des droits mais parce que cela nous construit. Pour autant, sur ce chemin il faudra faire de la place à la frustration et à la déception : on n’a pas toujours gain de cause…
Dans la lettre qu’il adresse aux membres de l’église de Philippe, l’apôtre Paul écrit : « [...] j’ai appris à me contenter de l’état où je me trouve. Je sais vivre humblement comme je sais vivre dans l’abondance » (Philippiens 4.11-12). Ce n’est pas pour dire que la pauvreté, c’est bien. Encore moins pour nous donner un prétexte pour ne pas la combattre ! Mais pour nous ouvrir un chemin d’espérance : face à ce que nous ne pouvons pas changer dans notre vie, il est encore possible de composer. Je crois que c’est une bonne nouvelle. Parfois, le miracle n’est pas de voir une situation se transformer. C’est, contre toute attente, en dépit des obstacles et de nos forces limitées, arriver à se frayer un chemin qui nous permet d’avancer.... lire la suite
Heureux l’homme qui voyage sans passeport ni visa. Celui-là est véritablement un homme libre ! Néanmoins, il y a des chances qu’il reste bloqué quelque part à une frontière… Dans un contexte où les préoccupations communautaires et ethniques prennent une large place dans le champ social et dans le discours politique, j’apprécie comme un véritable privilège de pouvoir me déplacer à peu près partout dans le monde à ma guise. Je suis ressortissante d’une nation riche, qui a beaucoup d’accords avec les autres pays du monde, j’ai la peau blanche, des papiers, une carte bancaire… Ce n’est pas le cas de tous !
Je me souviens d’un pasteur en Afrique qui avait évoqué, durant sa prédication, la formidable sensation de ne pas connaître de frontières. C’était, on l’aura deviné, un homme blanc qui parlait. Face à des auditeurs dont la majorité n’avait pas de papiers, n’était peut-être même pas inscrite à l’état civil et venait d’un pays pauvre et violent, ce discours m’a paru pour le moins décalé. Dans le même temps, j’ai pris conscience de mon immense chance d’être née de la « bonne » couleur et du bon côté, sans problème de « genre ». Car la détermination ou non du sexe fait aussi partie de la question. Le sujet suscite actuellement le débat dans plusieurs pays d’Europe : faut-il ajouter une alternative supplémentaire à « homme » ou « femme » sur les formulaires administratifs ?
On peut être étonné, choqué, que toute l’humanité ne se reconnaisse pas dans l’une ou l’autre des deux catégories déjà existantes. On peut être étonné, choqué, que certains voyagent aussi librement que les capitaux quand d’autres ne possèdent même pas de papiers, voire même ne trouvent nulle part où aller sur terre parce que personne ne veut d’eux comme réfugiés. Le fait est que l’humanité se heurte à ces questions, difficiles à résoudre, avec des conséquences non négligeables. En effet, nos identités nous travaillent et conditionnent nos rapports aux autres. Saurons-nous jamais définir, avec précision et si possible dans le consensus, notre identité ? Qui, de plus, est loin de se réduire à un état civil !
L’apôtre Paul apporte une réponse à la fois universelle, indémodable et surprenante. Dans la lettre qu’il adresse aux chrétiens de la région de Galatie (et il tiendra sensiblement le même discours à ceux de la ville de Colosse), il déclare : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme ; car vous êtes tous un en Jésus-Christ ». Et l’esprit du texte me laisse imaginer que la liste n’est pas close, que nous pouvons encore ajouter : il n’y a plus ni noirs ni blancs, ni riches ni pauvres…
Finalement, pour celui qui saisit la perche que tend Dieu, les considérations identitaires (qu’elles le concernent lui ou les autres) deviennent secondaires. Certes, comme dans d’autres domaines, toutes les souffrances liées à ces questions ne seront pas forcément apaisées sur cette terre. Néanmoins, elles trouvent une réponse dans l’ancrage commun que constitue le Christ. Dans d’autres passages, l’apôtre Paul emploiera l’image d’une filiation directe avec le Père que rien ne peut court-circuiter pour celui qui signe l’acte d’adoption.... lire la suite
La consommation des pays riches menace les ressources de la planète. Le réchauffement climatique fragilise l’habitat des populations qui vivent dans les îles du Pacifique sud. La guerre jette sur la route de l’Europe de plus en plus de familles en exil. Le monde est en train de changer. Non seulement ce n’est pas réjouissant mais pour nous qui vivons dans le confort occidental, ce n’est pas une bonne nouvelle. Les bouleversements qui marquent notre époque menacent notre sécurité, nos intérêts et notre bien être.
Mais la vérité, c’est que nous refusons de remettre en cause nos modes de vie, c’est-à-dire (un peu schématiquement) de consommer moins et de partager plus. D’une part ce tournant a un coût, matériel et psychologique. D’autre part, nous estimons que nous avons durement, chèrement gagné ce que nous possédons. N’avons-nous pas travaillé pour cela ? Il nous paraît dès lors absolument justifié de protéger nos terres, notre patrimoine, nos familles de toutes pressions venues de l’extérieur.
C’est oublier que dès la naissance, seul le hasard nous dote. Nous sommes le fruit d’une combinaison génétique qui a émergé parmi des centaines d’autres sans mérite particulier. Nous avons eu la chance de grandir, aimer et travailler dans un pays où les supermarchés sont approvisionnés en permanence, où même les plus pauvres ont accès à des soins de santé, où on peut généralement sortir dans la rue sans craindre la fréquence des agressions… Dans la tiédeur du confort matériel, nous avons oublié que rien de tout cela ne nous appartenait et que nous étions simplement bénéficiaires d’un heureux hasard. Si on peut considérer que chaque individu, riche ou pauvre, brillant ou moins intelligent, est responsable de la direction qu’il donne à son existence, il faut reconnaître que la donne de départ est arbitraire.
Dès lors, ce que je percevais comme un droit pour moi : une famille, une maison, un travail, devient un droit pour tous. Et comment refuser de partager des biens – matériels ou immatériels comme la paix, la liberté… – dont je sais qu’ils ne me reviennent pas parce que j’ai démontré des mérites supérieurs à ceux des autres ? En cela, la justice sociale a une dimension universelle.
Ce n’est pas une coïncidence si le Christ nous invite à « chercher d’abord le royaume de Dieu et sa justice ». Pourquoi ne dit-il pas : « le royaume de Dieu et l’amour » ? « le royaume de Dieu et le pardon » ? « le royaume de Dieu et sa paix » ? Il sait que la justice conditionne ces autres valeurs. Cependant, si on peut considérer que l’amour et le pardon peuvent, doivent nous conduire à dépasser les injustices qu’hélas nous vivons tous, il n’en va pas de même pour la paix. La paix n’est possible que lorsque justice a été rendue, que cette justice soit effective ici et maintenant ou qu’elle soit de l’ordre du symbolique ou de la promesse.
Jésus attire ici notre attention sur ce qui doit être pour chacun une priorité, parce que notre façon de vivre avec Dieu et avec les autres va en découler. Passer à côté de la justice, c’est croire en ses propres mérites et nier sa fragilité. Finalement, c’est dire au Christ que nous n’avons pas besoin de lui. A l’inverse, pratiquer la justice sous toutes ses formes, c’est donner un contour et une contenance à son royaume.... lire la suite
« Liberté, égalité, fraternité. » Une devise nationale en dit long sur l’histoire d’un pays et sur ses aspirations. Quand d’autres mettent l’accent sur la patrie, l’ordre et le travail, j’apprécie la dimension plus humaine de celle-ci, sa portée à la fois individuelle et collective, universelle même. Mais à force de voir alignés ces trois mots sur le fronton des mairies, on oublie qu’ils renvoient à des notions qui ne jouent pas tout à fait sur le même registre.
Il dépend de l’Etat comme du peuple de vivre et de faire vivre cette devise. En tant qu’hommes, femmes, citoyens, nous attendons bien sûr du gouvernement que nous avons élu qu’il garantisse nos droits et respecte ce noble mot d’ordre. Mais nous sommes aussi prêts à descendre dans la rue pour réaffirmer cette liberté, réclamer l’égalité. Quant à la fraternité, c’est un peu plus difficile de l’exiger d’un Etat. Bien sûr, la politique qu’il mènera conduira à plus ou moins de paix sociale, à plus ou moins de clivages entre les groupes auxquels nous appartenons. Cette politique insufflera plus ou moins d’ouverture et donc un accueil plus ou moins chaleureux de l’autre et de la différence. De là à parler de fraternité…
A mes yeux, cette notion repose bien plus sur la bonne volonté personnelle de chaque citoyen que sur celle du gouvernement. C’est donc au premier chef ma responsabilité qui est engagée sur ce terrain. En tant que chrétienne, elle l’est doublement car la fraternité est aussi le mot d’ordre du Christ. Mais comment aimer mon prochain comme moi-même sans tomber dans l’hypocrisie ou la complaisance ? Jésus nous demande non seulement de nous aimer les uns les autres dans l’église mais aussi partout ailleurs, et même d’aimer nos ennemis ! Peut-on voir dans une fraternité sur commande un ciment durable, propre à faire tenir entre elles les pierres de l’édifice humain ? Je me souviens d’un lointain parent, acariâtre, fâché avec tout le monde, y compris ses enfants, mais surtout avec l’église, et qui du haut de son grand âge expliquait combien il était simple d’aimer son prochain ! Son exemple montrait précisément le contraire…
Pour moi, cette fraternité est moins un point de départ qu’un chemin à parcourir ensemble. En étant en marche, impossible de rester figé ! Le même mouvement, celui qui me conduit vers le Christ, me fait aussi converger les autres. Dès lors, je ne suis plus liée à mon prochain par une fraternité artificielle, qui m’impose d’être charmante avec un voisin que je déteste au fond de moi, de faire bonne figure auprès de tout le monde à la sortie du culte et d’astiquer en permanence ma vitrine. Je m’inscris au contraire dans un processus de connaissance, de Dieu, des autres et de moi-même. Ce processus exige du temps autant qu’il en donne. Dans cette perspective, vivre la fraternité et la faire vivre autour de moi me paraît alors réalisable. Pas seulement à titre individuel mais aussi dans l’église et la société.
Car la famille chrétienne a vocation à s’ouvrir, à s’élargir à l’infini, à aller à la rencontre de ceux qui sont sur sa route, riches ou pauvres, malades ou bien portants, sympathiques ou moins sympathiques. Cette fraternité est pour tous, elle parle à tous car nous en avons tous besoin. ... lire la suite
Personne ne vit sans espoir. Que cet espoir ait une dimension religieuse ou pas, spirituelle ou strictement rationnelle, c’est lui qui ouvre l’horizon de l’avenir. Il peut porter le nom de nos projets ou tout simplement se manifester dans la confiance que nous avons en demain. C’est comme un arbre planté en nous. Sans espoir, l’être humain perd le goût de vivre et peut-être même le sens de la vie. Ceux qui ont cette graine plantée en eux dès leur naissance alimenteront, bon grès mal grès, au fil des circonstances de la vie, ce jardin. D’autres qui ont eu peut-être moins de chance feront de cette semence précieuse l’objet d’une inlassable quête. Le fait de posséder un espoir ou de ne rien attendre du monde ni de personne fait une différence fondamentale dans un parcours et conditionne largement notre manière d’être au monde.
Il me paraît logique que ces aspirations s’expriment notamment – si ce n’est en premier lieu – dans la sphère politique. Dans un monde structuré en nations, en partis et en unions politiques, militaires, commerciales, le bien être et la satisfaction d’un peuple dépendent – plus ou moins, il est vrai – de ceux qui sont au pouvoir. Et les électeurs espèrent toujours beaucoup des élus – qui sont aussi des élites – politiques. Comment peut-il en être autrement ? Même si une société plutôt individualiste va laisser reposer sur chacun la responsabilité de son propre bonheur, nous nourrissons, en tant que citoyens, des attentes à la hauteur des questions qu’il faut résoudre : chômage massif, insuffisance des retraites, injustice économique et sociale, discriminations graves et coûteuses en tous points de vue… Dans le même temps, comment raisonnablement imaginer qu’une femme ou un homme « providentiel » peut avoir réponse à tout ?
J’emploie le terme « providentiel » à dessein. Littéralement, il signifie « qui est dû à l’action de la Providence » (avec un « p » majuscule) ou « qui a reçu une mission de la Providence ». L’adjectif peut aussi qualifier un événement « heureux et inespéré ». Je ne peux m’empêcher de voir dans ce glissement du spirituel au politique un clin d’œil qui nous rappelle combien nous avons besoin de croire et d’espérer, et combien porter nos espoirs sur un être humain est aléatoire. Cette femme ou cet homme « providentiel » auquel nous pensons en mettant notre bulletin dans l’urne, c’est un peu le messie laïque d’une société qui a besoin d’un sauveur pour sortir de ses impasses.
Bien sûr, votons ! Et plutôt deux fois qu’une ! Mais en ayant clairement à l’esprit qu’aucun être humain ne pourra résoudre tous les problèmes d’une nation. Votons, mais sans déléguer aux politiques l’entière responsabilité d’une société à laquelle nous sommes appelés à contribuer. C’est cela que rappelle Jésus lorsqu’il parle du royaume des cieux : seul Dieu peut prétendre répondre à nos besoins dans toutes leurs dimensions, matérielles et existentielles, individuelles et collectives. Si cela peut nous donner espoir et confiance à partager autour de nous sur cette terre, Dieu nous propose en plus une espérance ambitieuse, une vie éternelle au-delà de la mort. Plus qu’une promesse de campagne, c’est une assurance que le Christ nous donne à travers sa propre résurrection.... lire la suite
Catalogués, classés, catégorisés… Le sentiment d’être injustement enfermé dans un rôle qui nous limite terriblement, douloureusement, peut avoir l’effet d’un poison vaporisé sur un arbre en fleurs. L’image du clown, du Saint-Bernard, du nul en bricolage, du zéro en sciences, de la bonne poire facile à manipuler, de l’oie blanche un peu coincée, de l’éternel petit frère ou de l’éternelle petite sœur… Cette image nous colle à la peau comme un vêtement mouillé. Il peut suffire d’une fois pour que de tels jugements prennent dans notre vie l’ampleur des décisions définitives. Quand le regard de l’autre nous confine dans nos plus étroites appartenances, que reste-t-il de nous ? Que nous reste-t-il ?
Plusieurs raisons peuvent faire préférer – consciemment ou pas – le repli sur soi. Dans un fatalisme poussé à son paroxysme, nous pouvons même en venir à alimenter le jugement qui a été posé sur nous. Malgré nous, nous lui donnons de la consistance. Tout simplement parce que nous ne savons pas comment faire autrement, quelle contre-proposition afficher, quelle attitude opposer ou adopter pour sortir de l’impasse. Incompétents pour nous aider nous-mêmes, nous laissons les prophéties s’auto-réaliser. Autrement dit, nous réunissons les conditions pour que ce qui a été dit ou pensé de nous advienne. Nous avons peut-être entendu répété tellement de fois que nous ne sommes bons à rien que nous finissons par y croire et devenir cette personne instable, fragile, peu fiable...
Après tout, pourquoi se donner la peine d’être autrement que comme les gens croient ou veulent que l’on soit ? En avons-nous l’énergie et la ressource ? Nous finissons par douter de tout et surtout de nous-mêmes. Pire que le doute, nous avons honte d’être nous-mêmes parce que cela nous mettrait en décalage avec le rôle qui nous a été assigné (que ce soit par notre famille, notre patron, nos collègues…). Cette honte étouffe nos capacités personnelles, notre équilibre et notre bien être.
Pour faire éclater ce cadre réducteur qui les blesse, certains auront tendance à employer la manière forte. Une lutte difficile ! D’abord parce qu’on ne voit pas toujours clairement quelle parole ou quel geste avoir. Ensuite parce qu’adopter la bonne attitude ne sera peut-être pas suffisant pour inverser la tendance, contraindre à un changement de regard. Le combat est long, son issue incertaine...
Il y a deux mille ans, le Christ allait sur les routes pour rencontrer les gens, dont ceux qu’on avait étiquetés « collabo », « femmes de mauvaise vie » ou « possédés » ; ceux qu’on avait bannis de la vie collective parce que lépreux ; ou épinglés comme pécheurs parce que leur handicap était interprété comme la sanction de leurs fautes ou des fautes de leurs parents. Jésus va à leur rencontre pour les guérir et arracher toutes ces étiquettes inutiles, injustes et parfois mensongères. Il le fait – entre autres, pas seulement – par le regard qu’il pose sur eux. Ce regard nouveau, Jésus le pose aussi sur moi, sur vous, sur nous. Il est bienveillant et inconditionnel ; je suis donc libre d’être moi-même. Il n’est pas chargé d’a priori et de condamnation ; je suis donc libre de devenir moi-même. Je ne suis pas parfaite, certes, mais son regard, lui, est parfait.... lire la suite
La sécurité est un besoin primaire de l’être humain ; parmi les plus instinctifs dans le sens où nous aspirons tous à la sérénité d’une vie anténatale. C’est aussi un besoin élaboré, car il peut impliquer des schémas complexes de protection.
Même celui qui se confie en Dieu a besoin de sécurité. Vous avez peut-être déjà entendu, comme moi, des croyants demander à Dieu d’éloigner le malheur et les difficultés. Une solution bien pratique, qui donnerait au christianisme un avantage évident si tous ses adeptes se trouvaient épargnés par les épreuves. Mais la foi n’est pas une garantie qui nous met sous cloche. Elle n’ouvre pas devant nous un couloir humanitaire nous permettant de traverser l’existence sans heurt et sans dommage. Nous sommes pris dans un maillage commun : les mêmes problèmes et les mêmes questions se posent à tous. Ce sont nos réponses qui diffèrent.
Je me souviens d’un trajet en voiture, il y a longtemps. A bord : de la famille et des amis. Nous roulons à une allure plus que raisonnable sur une petite route de montagne à double voie. En contre bas, le vide. A notre droite, le rouge de la roche escarpée. La montée, les lacets, le manque de visibilité nous contraignent à la lenteur. Quand soudain surgit derrière nous un véhicule pressé, son chauffeur cherche à doubler à tout prix. Il accélère, déboîte, mais une fois à notre hauteur, voilà qu’une troisième voiture arrive en face. Par réflexe, pour l’éviter, le conducteur impatient se rabat sur nous. A notre tour, nous nous déportons vers la droite. Vers le rocher. « Coup de chance », il forme à cet endroit comme une alcôve de pierre. Le renfoncement de la montagne nous permet d’échapper au choc et de nous arrêter pour nous remettre de nos émotions. La voiture folle a eu le temps et la place de freiner. Elle a à peine touché le véhicule qui arrivait en sens opposé. Seul l’un de ses occupants saigne du nez.
Comme dans un match de boxe, le coup est passé tout près mais il n’y a pas eu de drame. En quelques occasions de la vie j’ai pu constater que Dieu ne m’avait pas extraite de la situation difficile dans laquelle j’étais, mais qu’il ne m’avait pour autant oubliée. Au bout des événements, je me relève, je me palpe, je me secoue : je suis bien là, tout est en place.
C’est toujours un effort de ne pas laisser mes peurs dicter ma conduite. Cela restera sans doute un exercice jusqu’à la fin de mes jours. Mais chaque fois, j’apprends un peu plus, un peu mieux à être sereine même si mon environnement ne l’est pas.
Dans les évangiles, Jésus ne donne pas une description guillerette et fleur bleue de la vie chrétienne. A plusieurs reprises, il emprunte à l’Ancien testament l’image du berger et de son troupeau. Comme des brebis au milieu des loups, ceux qui croient sont exposés à des dangers. Pour autant, ils ne sont pas sans protection. C’est la présence du berger qui fait la différence. Ma zone de sécurité, ce n’est pas le périmètre sur lequel il n’y a pas de prédateur, pas de problème. C’est le périmètre dans lequel je me sens proche de mon berger. Le véritable défi ne consiste pas à chasser les loups mais à entretenir une relation de proximité avec Dieu, indépendamment des circonstances.... lire la suite
Que tout soit beau, que tout soit limpide, que tout soit clair ! Ceux qui prônent la transparence – et notamment la transparence de la vie publique des hommes politiques – n’ont pas d’autre but. Bien sûr, avec eux nous aspirons à un idéal moral qui, tel une sélection naturelle, discriminerait les gens malhonnêtes au profit des honnêtes gens pour diriger le pays, ses institutions, ses entreprises. Espoir ou fantasme ? Là où certains voient une solution propre à éloigner de la vie publique ceux dont les turpitudes se conjuguent au présent ou même au passé, on peut s’interroger...
Car rien n’est si beau, rien n’est si limpide, rien n’est si clair dans un monde où chacun d’entre nous a sa part cachée, son masque social, ses fiertés mais aussi ses indignités. Qui d’entre nous accepterait que soit jetée sur cette part d’ombre le regard cru d’un projecteur ? Des journalistes fouillent, enquêtent, cherchent et trouvent forcément… Au tisonnier de la médiatisation, le peuple croit pouvoir obtenir de ses dirigeants déclarations de virginité ou repentance, preuves de probité ou mea culpa… Dans une Glasnost sans concession, ce même peuple oublie tout ce qu’il dérobe lui-même à la vue des autres ; tout ce qu’il espère ne jamais avoir à déballer sur la place publique, au nom de la très légitime vie privée !
Moi aussi, j’ai ma part d’ombre, et je dois dire que je ne m’empresserais pas d’appliquer à ma propre vie un principe de transparence trop radical... Aussi, de quel droit exigerais-je que d’autres fassent devant moi l’inventaire de leur vestiaire ? Seul celui qui peut tout montrer a le droit de tout voir. Sa pureté le pose en modèle. Mais qui peut prétendre être juste ? Qui peut prétendre être parfait, sans tâche et sans défaut, si ce n’est Dieu ? Réclamer la transparence à grands cris et s’estimer en droit de poser un regard sur la vie des autres (quand bien même ce sont des personnalités publiques) ne revient-il pas, finalement, à se prendre un peu pour lui ?
Ce serait dommage d’en conclure qu’il n’y a pas de solution, qu’il est inutile de lutter contre nos mauvais penchants et que personne n’a autorité pour nous rappeler à l’ordre quand nous dévions ou dérivons. Ce n’est d’ailleurs pas le sens de mon propos. L’alternative n’est pas : la transparence, sinon rien. Je crois au contraire qu’il existe une voie médiane, qui est une voie à part entière, entre la lumière du soleil de midi qui nous perce à jour et l’épaisseur de la nuit qui dissimule nos fautes.
A défaut d’être aussi transparent devant nos semblables que devant Dieu, il est possible de faire preuve de clarté. Une clarté qui ne nous dépouille pas de notre dignité, comme l’éclairage impitoyable d’un néon, mais qui tient compte de notre pudeur. Une clarté qui ne nous contraint pas à manquer de décence mais nous intime d’être francs, sincères. Ce devoir de clarté, je puis y souscrire. Et ce d’autant plus facilement que mon Père qui est dans le ciel m’aide chaque jour à voir clair en moi et à faire le tri dans mes sentiments, mes intentions et mes actions. Jésus me dit qu’il est la lumière du monde et que celui qui marche à sa suite n’est pas dans les ténèbres. Alors je peux redresser la tête malgré mes torts et avancer humblement sans être méprisé.... lire la suite
On a toujours le choix : entre plus de facilité ou de difficulté ; le risque ou le confort ; la trahison ou la fidélité, la vie ou la mort… A défaut d’avoir devant nous le choix le plus juste, voire celui qui nous arrange ou nous paraît légitime, nous avons le choix entre les conséquences d’une option ou d’une autre. Mais l’étroitesse du goulot par lequel passe encore un filet de liberté nous fait reculer et dire : je n’avais pas le choix ; j’ai fait ceci ou j’ai fait cela parce qu’il n’y avait pas d’alternative.
Pourtant, dans l’impossible communication du couple qui se perd, face à l’exigence abusive d’une vie professionnelle sous pression ou quand notre passé se répercute dans notre présent en une inextricable pelote, il y a encore matière à choisir. Et plus cette matière est mince, plus elle est fragile et limitée, plus elle mérite qu’on lui accorde de l’importance et qu’on soit attentif aux raisons qui nous poussent. Nous pouvons encore rester ou partir, poser des limites ou encaisser, identifier ce qui nous libère et ce qui nous détruit. Pris entre le marteau et l’enclume, balloté de charybde en silla, rabougri à force de supporter les pressions, notre libre arbitre souffre mais je crois qu’il existe toujours, faible palpitation ou chemin caillouteux, comme une part irréductible de nous-mêmes.
En renouant avec elle, alors que l’adversité nous malmène, nous redevenons acteur de la situation. Acteur et donc responsable. C’est ce qui peut faire peur, ce qui peut être incompréhensible ou révoltant tandis que nous subissons. Si le fait d’être victime éloigne cette responsabilité de nous, retrouver une capacité d’action reste pourtant la clé de l’impasse. Cette capacité d’action, intimement liée à notre capacité de choix, nous replace sur le terrain en position d’avancer. Fut-ce en inventant un sentier dans la jungle confuse de nos sentiments, nos amours blessées, notre orgueil ébréché, il est toujours temps de reprendre notre destin en main. Bien que cette main soit peu sûre. Bien qu’elle tremble encore et que les ombres environnantes cherchent à en aspirer la force.
Toutes les personnes que le Christ a guéries ont fait un choix, un pas (plus ou moins grand) qui ne dépendait que d’elles : lancer un appel, crier son nom, se laisser guider par des amis jusqu’à lui, toucher son vêtement… Elles n’ont pas elles-mêmes résolu leur problème mais elles sont redevenues actrices de leur vie, ne serait-ce qu’à travers un mot, un geste, en faisant appel à cette part irréductible en l’être humain, en refusant la fatalité d’un statut de victime pourtant réel, en ouvrant la porte à l’Espérance.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit ! D’espérer en un mieux possible, en un avenir, en un apaisement. Il faudra faire appel à des valeurs constructives pour échapper au désir de vengeance, au découragement, à la rancœur et à l’amertume qui naît du sentiment d’injustice. Il faudra encore dépasser une ligne de démarcation : là où cessent les efforts du commun des mortels, Dieu nous invite à poursuivre, à garder les yeux et le cœur ouverts. C’est un long chemin que celui de l’espérance, et personne ne peut nous obliger à l’emprunter. A nous de choisir.... lire la suite
Pour franchir le Grand Canyon
Sur son lit de souffrance, un ami chrétien, âgé et atteint gravement de plusieurs maladies, me chuchote : « Je m’accroche parce que tu es là ». C’est vrai qu’avec ses enfants, ses quatre enfants, la fracture relationnelle est comme un autre Grand Canyon. Impossible de construire un pont entre deux bords aussi éloignés. Mais l’heure n’est-elle pas venue de tout tenter ? Dans ces moments, l’extrémité de la situation agit comme une loupe et l’essentiel apparaît tout de suite en gros plan : ne pas partir sans avoir au moins essayé de jeter une corde tyrolienne en travers de ce vide, au-dessus des décombres de notre vie.
Mais ce désir ne semble jamais qu’être le mien. Plus le temps passe et plus mon ami semble préférer croire que rien n’est possible, que tout a de toute façon été fait et que si la situation ne s’arrange pas, c’est parce que l’autre partie ne veut pas briser le silence. Je voudrais le convaincre, lui pourtant rassasié de jours et qui connaît les détours de l’existence mieux que personne, que ce Dieu qui libère peut aussi être le sien. Que ce Dieu qui guérit peut aussi guérir la fracture. Que ce Dieu qui fait des miracles peut aussi rapprocher les bords de son Grand Canyon. Que ce Dieu qui pardonne peut aussi pardonner sa violence et son silence. Que ce Dieu qui accueille peut aussi lui ouvrir les bras. Mais que rien de tout cela ne peut se réaliser tant qu’il n’entend pas la foi lui dire que c’est possible.
Je comprends qu’il est des expériences non transposables. Si j’ai pu vivre de véritables libérations grâce à Dieu, je ne peux forcer qui que ce soit à faire de même. Accepter l’autre dans sa réticence me place dans une position qui m’attriste. Cela me montre aussi combien croire est un parti pris, presque un numéro sur lequel on mise parce qu’on est sûr qu’il va sortir. On le croit, on le « sent », mais on ne peut jamais le savoir. Et comme on ne peut jamais le savoir, alors croire résulte d’un choix. On confond trop souvent la foi avec la certitude que nous apporte une assurance vie. J’ai donc choisi de croire, ce qui implique un art de vivre fait de lignes de crête et d’équilibres jamais définitifs, d’avancées et de progression mais pas d’aboutissement.
Certes, je l’ai dit, je ne peux pas transposer mon expérience avec Dieu dans la vie des autres, surtout si ces derniers ont choisi de s’accrocher à d’autres espoirs. Néanmoins, je peux continuer à choisir de croire à l’impossible. Mon ami malade a peut-être trop de peine à reconnaître l’absence de lien entre ses enfants et lui, trop de difficulté à regarder en face les causes et pas assez de force pour se lancer dans un grand déblayage coûteux. Mais rien ne m’empêche, moi, de croire que ce pont peut encore être construit. Je peux y croire jusqu’à la dernière minute car « [m]oi je connais les projets que j’ai conçus en votre faveur, déclare l’Eternel : ce sont des projets de paix et non de malheur, afin de vous assurer un avenir plein d’espérance » (Jérémie 29.11).
Bien sûr, nous avons tous besoin de nous accrocher à quelque chose. J’ai choisi de m’accrocher à cette phrase, prononcée par Dieu dans le livre de Jérémie (dans la Bible), qui résonne en moi comme une promesse.... lire la suite
Florence, palazzo Vecchio. Nous sommes au début du XVIe siècle. Les deux plus grands artistes de l’époque ont été sollicités par le gouvernement florentin pour décorer la salle des Cinq-cents. C’est ainsi que Michel-Ange et Léonard de Vinci se font face. Ce dernier, jugeant devant les exemples laissés par l’Antiquité romaine que la fresque est la meilleure technique pour qu’une œuvre traverse les siècles, décide de s’y essayer. Malgré toute sa science et son génie, rien ne va se passer comme prévu ! Après une tentative réussie dans son atelier, Léonard de Vinci attaque le chantier artistique de la salle des Cinq-cents et, dernière étape de ce gigantesque travail, allume un feu pour sécher la fresque. Un désastre ! Tout dégouline en un pathétique lavis...
Il n’est plus rien resté de ce travail de Léonard de Vinci, si ce n’est le témoignage qu’en a rendu Rubens à travers la copie des dessins préparatoires du maître. Devant cet échec retentissant, si cuisant pour son amour propre, et ce même si sa réputation artistique le précède, Léonard de Vinci, qui à cette époque n’est plus un jeune premier, aurait pu jeter ses pinceaux. Il n’en fit rien et c’est tant mieux.
A l’image de cette histoire, beaucoup d’hommes et de femmes qui ont marqué l’histoire ont fait face à l’échec à un moment donné. Si Louis Pasteur avait renoncé à ses recherches au premier obstacle survenu, il n’aurait sans doute jamais découvert le vaccin contre la rage. Que dire des pionniers de l’aviation qui, par définition, ont construit sur des échecs ? La persévérance a été leur meilleure alliée. Malheureusement, fort d’une éthique de la réussite à tout prix, très à la mode, c’est parfois à nos propres yeux que l’échec est le plus dur à surmonter. Qui peut alors réhabiliter l’espoir déçu ? la confiance en soi ? la dignité ?
La Bible est pleine de personnages qui ont su repartir, rebondir, faire acte de résilience après un échec ou un traumatisme. J’aimerais prendre l’exemple de Paul, dont la vie remarquable a été remplie de voyages, de miracles, de menaces de mort aussi… Sa conversion en est l’étape charnière. Avant cela, Paul est un persécuteur de l’Eglise, un persécuteur de chrétiens connu pour son zèle à poursuivre ceux qui confessent Jésus comme le Messie.
Dieu décide pourtant de s’adresser directement à cet homme, alors qu’il est en route pour la ville de Damas. Pourquoi ? Ne se trouve-t-il aucun autre homme en Palestine susceptible de répondre à l’appel de Dieu pour prêcher la Bonne Nouvelle ? Dieu n’a-t-il pas de meilleure idée que d’aller chercher un de ses adversaires les plus acharnés ? A ce stade du récit – nous ne savons pas encore que Paul deviendra un apôtre dont les enseignements feront partie de la Bible – ces questions semblent légitimes mais Dieu dévoile là son caractère.
D’une part, aucune distance ne semble assez grande que Dieu ne puisse parcourir pour venir nous chercher, nous tirer de nos combats et nous guérir de nos erreurs. Ici, il s’adresse à un persécuteur de l’Eglise et il lui envoie même un signal fort : Paul passera trois jours dans le noir complet (sans manger et sans boire). Une cécité provisoire dont la guérison s’accompagnera d’un éclairage spirituel, d’une ouverture du cœur. Dieu s’adresse à nous de la façon la plus adéquate et ne nous enferme jamais dans la voie que nous avons choisie, fut-elle une impasse. ... lire la suite
Connaître l’avenir. Voilà un vieux rêve qui taraude l’être humain, peut-être même depuis plus longtemps encore que celui de voler. La possibilité de connaître à l’avance les événements nous donne l’impression que nous pourrions mieux les maîtriser. Mais plus prégnant encore est le besoin d’être rassuré. Un besoin qui caractérise notre commune humanité dès la sortie du ventre de notre mère.
Sur le chemin de l’existence, nous avançons tous en ayant plus ou moins confiance en la vie ou en étant plus ou moins anxieux. Très tôt, notre caractère et notre éducation nourrissent une inclination plutôt que l’autre. Evidemment, c’est lorsque nous sommes du côté de l’incertitude et donc de l’inquiétude, que ce soit par l’effet d’une tendance naturelle ou du fait des circonstances, que tout devient plus complexe. On se met en quête d’un viatique pour tasser l’angoisse, la faire taire si possible !
Le chrétien n’est pas totalement hermétique à l’inquiétude face au lendemain, même s’il remet son sort entre les mains d’un Dieu bon. Car la tentation reste toujours de s’agiter et de dépenser beaucoup d’énergie afin de favoriser le cours des événements. Mais un homme plein de foi ne cesserait-il pas de se consacrer à ce qui le préoccupe pour laisser toute la place à la confiance ne Dieu ? Pas si facile...
Même en ayant confiance, on peut garder le sentiment d’être suspendu dans le vide, balloté entre l’infinité des possibles. Il est vrai que les contingences de l’existence nous rattrapent tous, croyants ou pas. Cependant, lorsque je remets mon sort à Dieu, deux attitudes sont possibles. Je garde en moi l’incertitude et son cortège de questions silencieuses. J’aimerais mieux une vision – digne des prophètes de l’Ancien Testament – qui me dise clairement ce qu’il va advenir. Je peux aussi choisir de vivre mon absence de maîtrise totale des événements comme un véritable luxe : je suis libéré de l’obligation de résultat que j’étais seul à m’imposer. Je suis soulagée de la pression qui pesait jusqu’alors sur mes épaules ! Je puis enfin consacrer du temps à d’autres activités qu’à mes sujets de préoccupation. Je peux même réussir à avoir le cœur léger quand le contexte qui ne s’y prête guère. Cela s’explique parce que je ne suis plus perdu dans l’infini de l’univers, je suis dans un mouvement qui, quoi qu’il advienne, me porte vers l’avant. La finalité des choses, en tant qu’objectif mais aussi en tant que terminaison, cesse de prendre une place disproportionnée.
Aussi, je n’attends plus de signes pour me rassurer. Ces signes que l’on demande, que l’on croit détecter et décoder sans nous rendre compte à quel point nous sommes influencés par notre vision, avec ses œillères, et par nos émotions. En effet, je n’ai plus besoin de ces signes parce que je n’ai plus besoin que l’extérieur m’apporte l’assurance qui me manque à l’intérieur. Voilà l’effet de ce Jésus « avec moi jusqu’à la fin du monde ». Ce sont parmi les dernières paroles que le Christ adresse à ses disciples avant de les quitter pour monter au ciel. Et je devine là à quel point il connaissait leur besoin et notre besoin encore aujourd’hui d’être rassuré. Il ne pouvait dire mieux ! Cette promesse peut désormais faire partie de moi.
Ce n’est pas une fin en soi. C’est au contraire le début d’une très belle aventure.... lire la suite
On dit que les habitants d’une île développent, en raison des limites de leur territoire, une mentalité spécifique. Le périmètre restreint, la dépendance vis-à-vis de l’extérieur en même temps que l’impératif catégorique de se débrouiller avec les moyens du bord forment un contexte susceptible de différencier nettement les insulaires des Américains, par exemple, tellement habitués à la vastitude des espaces que tout est surdimensionné si on compare à l’Europe (voitures, frigos, briques de jus de fruits…).
Je me demande parfois si le monde que nous avons fabriqué, et qui repose en grande partie en occident sur des valeurs économiques, ne nous a pas poussés à développer une mentalité insulaire à notre insu. Insulaire parce qu’axée sur la recherche de l’intérêt personnel, le repli sur soi, la sensation qu’il faut être toujours prêt à se défendre…
Alimentée voire façonnée par l’individualisme ambiant, notre topographie intérieure se caractérise de plus en plus par une gestion egocentrique, c’est-à-dire centrée sur ce qu’il y a de plus instinctif en nous (comme le plaisir ou la peur), de nos relations, de notre temps, de nos activités… Pourtant, nos vies n’en restent pas moins tissées ensemble. Ici en occident, il est vrai que c’est peu visible tant les conditions d’existence sont confortables. Les magasins bien achalandés, ouverts tous les jours et presque à toutes les heures, nous donnent l’impression de ne dépendre de rien ni de personne quant à notre subsistance. Tant que le système fonctionne, un individu peut vivre en totale autarcie.
Dès lors, pourquoi se mêler des affaires les uns des autres ? Dans un sain mouvement d’autonomie et d’indépendance, nous semble-t-il, nous préservons nos intérêts et notre liberté. Je ne m’occupe pas des autres car je n’ai pas tellement envie qu’ils franchissent à leur tour la frontière de ma petite île particulière. Du chacun chez soi au chacun pour soi, il n’y a qu’un pas que nous franchissons sans faire preuve de beaucoup de scrupules. A tel point qu’un sourire peut vite devenir suspect, ou chargé de sous-entendus. D’autres fois, on se retrouve comme engourdi. On ne propose pas au voyageur chargé de l’aider à porter un bagage dans les escaliers. On ne se laisse même plus discrètement couler dans son siège quand un vieillard monte dans le bus parce que nos yeux ne le voit même pas. On perd nos réflexes humains, on perd en solidarité. Ce faisant, on perd de vue les raisons fondamentales pour lesquelles nous faisons société.
Le Christ nous invite à nous aimer les uns les autres, c’est l’expression la plus évidente d’une mentalité qui se veut tout sauf insulaire. De manière plus indirecte mais tout aussi explicite pour peu qu’on prenne le temps de saisir le sens de ses paroles, Jésus met en garde contre l’insensibilité à l’égard du sort de son prochain qui gagnera les cœurs à la fin des temps. Si nous pensons que notre planète ne peut se suffire à elle-même, si nous pensons que les relations interpersonnelles contribuent à combler nos besoins réciproques, n’endurcissons pas nos cœurs, restons sensibles à ceux qui ont besoin de nous, y compris à ceux qui ne nous regardent peut-être pas. ... lire la suite
Vous avez peut-être déjà entendu cette phrase : il faut avoir le courage de changer ce qui peut l’être mais aussi celui d’accepter ce qui ne peut pas être changé. Aussi juste que soit ce proverbe, il n’a pas fait de l’acceptation un concept très attrayant. Accepter de travailler avec un collègue qui n’est pas fiable, de vivre avec un conjoint maniaque ou de voir ses enfants faire d’autres choix que ceux qu’on auraient voulu qu’ils fassent… Cela n’a rien d’agréable. Et puis il faut parfois savoir s’indigner, refuser, dire ce qu’on pense ! Mais combattre en nourrissant le rapport de force, en s’employant à changer l’autre ou en se révoltant contre l’existence, c’est toujours perdre beaucoup de temps et d’énergie au profit d’un résultat incertain.
L’acceptation offre une troisième voie, qui n’est pas une voie médiane entre la bataille et la soumission. Il s’agit bien d’une alternative supplémentaire à part entière. Au début, cette voie peut paraître obstruée par toutes les bonnes raisons que nous avons de trouver notre situation de souffrance, de deuil, de maladie, de solitude, de séparation… injuste et révoltante. Mais pour vivre malgré tout, c’est celle qui finit par s’imposer. Ca ne veut pas dire que tout va bien. Ca ne veut pas dire qu’on renonce à un « mieux » à venir. Ca ne veut pas dire non plus qu’on met son ressenti au fond de sa poche et son mouchoir par dessus. En acceptant une situation, nous nous saisissons simplement du pouvoir de construire quand même.
Comme pour le fabuleux château de Louis II de Bavière. Son architecture a dû épouser les écorchures de la montagne, l’étroitesse de sa crête et la ligne torturée de son éperon rocheux. C’est ainsi, en composant avec un relief mille fois tourmenté, qu’a pu naître cet édifice d’une harmonieuse asymétrie, absolument unique en son genre. Ce château a d’ailleurs fait rêver Walt Disney, qui s’en est inspiré. Et si l’expérience était transposable à nos vies ? Pourrions-nous, par l’acceptation, sculpter notre existence en lui donnant un mouvement original, imprévu ?
Trop souvent nous nous laissons aveugler par notre orgueil, qui s’attache à nous convaincre que ce n’est qu’en bataillant qu’on obtient gain de cause. Pourtant, une autre victoire est possible. Moins triomphante que si nous pouvions définitivement clore le bec à ce voisin qui nous agace ou rafler tout ce qu’il reste sur le compte commun avant de divorcer, mais néanmoins une victoire satisfaisante. Un victoire plus paisible, plus juste, vidée d’amertume et d’orgueil, qui implique un mode relationnel durable.
Au cours de sa vie, le Christ a accepté de nombreuses injustices le concernant ; il a accepté qu’on dise du mal de lui, qu’on veuille le faire souffrir, qu’on cherche à l’humilier… Cela ne l’a pas empêché d’aller au bout du projet pour lequel il était venu sur terre et de réaliser des exploits. Je ne parle pas des miracles mais je pense à la femme adultère qu’il a réhabilitée, aux manipulateurs qu’il a remis à leur place, aux barrières sociales dont il s’est affranchi pour manifester de l’amour à tous. Il a suivi sa ligne, indépendamment des circonstances. Son exemple nous donne un aperçu de ce que peut accomplir le pouvoir de l’acception.
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