Le risque de la fraternité
22 avril 2018 - 18x
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Que signifie être ouvert à l’autre ? Accueillir l’autre ? Je veux dire d’un point de vue concret, je ne parle pas des déclarations de principe. La plupart du temps, nous voulons bien rencontrer celui qui est différent à condition qu’il vienne jusqu’à nous. Nous voulons bien l’accueillir à condition que cela ne nous oblige pas à sortir de notre zone de confort. Mais dans ce cas, peut-on véritablement parler d’accueil ? Ou, pour être moins sévère, pouvons-nous nous contenter de cette forme d’accueil ?
Certes, l’épreuve a l’avantage d’être bien balisée. Tout invité qui débarque dans une nouvelle maison est censé se soumettre aux habitudes et aux règles qui en régissent la vie. Lorsqu’on n’est pas chez soi, on s’adapte. On se fait silencieux, discret : ni commentaire, ni critique ; tout juste ose-t-on demander le sel s’il n’est pas déjà sur la table… Ainsi, faire venir l’autre jusqu’à nous est une façon de neutraliser sa différence, de canaliser ce qui peut éventuellement nous déranger chez lui. C’est une stratégie qui donne en général des résultats assez proches de ce à quoi l’on s’attend. Toutefois, si elle n’est pas à jeter, elle n’est pas forcément à cultiver dans la mesure où elle peut dénoter la peur. La peur d’être compromis si je rencontre l’autre sur son terrain ; la peur d’être décontenancé, trompé, mis en difficulté, contaminé, pris en faute… Bref, on se sent tous plus sûr de soi quand on est en terre connue et qu’on maîtrise les règles du jeu !
Pourtant pour arriver à la rencontre qui transforme, qui décentre, qui rend plus vivants les deux êtres en présence, il n’y a pas d’autre moyen que de sortir de son périmètre de sécurité. Pour dépasser les fausses idées et les fausses appréhensions ; pour prendre la mesure de qui est l’autre vraiment. Pour que je le touche et que je sois touché par lui, je n’ai pas trouvé de moyen plus efficace que d’aller sur son terrain. Non pas au détriment de tous les codes de la politesse, bien sûr ! Mais en osant m’intéresser à ce qui se passe de son côté, dans sa zone de confort à lui. En un mot, en prenant le risque de la fraternité. Le risque ? Oui, forcément ! Sous ce joli mot de « fraternité », qu’on a raison de remettre au goût du jour, il y a le risque d’être déçu, blessé… Rejeté, qui sait ?
Vu sous cet angle, je saisis mieux le devoir d’hospitalité des juifs et pourquoi les textes de la Bible qui relatent de tels épisodes sont si nombreux. Plus encore, je regarde l’exemple du Christ sous un œil neuf : je comprends pourquoi il a fait le choix de vivre sans toit à lui ni à ses disciples. En effet, Jésus n’a jamais eu de maison ni même de tente où il aurait pu recevoir ses invités et autres gens de passage. Non, il a opté pour l’inconfort de l’itinérance, l’imprudence des routes. Et sans doute les gens allaient-ils d’autant plus volontiers vers lui qu’il n’y avait même pas de seuil à franchir ! Dans ce contact privilégié avec autrui, on apprend qui il est (on apprend qui on est aussi) et on peut alors véritablement s’ouvrir à lui, au-delà des idées reçues et des garde-fous qu’on est très tôt tenté de mettre en place. En fait, le meilleur accueil commence peut-être en s’invitant chez toute personne qui voudra bien nous recevoir…