Aimer la difficulté
02 décembre 2018 - 29x
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L’être humain tend naturellement vers la facilité. En témoigne, entre des milliers d’exemples, son rapport au langage. Une langue évolue toujours vers les usages qui demandent le moins d’efforts, quitte à commettre quelques anglicismes et à transgresser la grammaire. A peine la résistance académique freine-t-elle les évolutions qui, un jour ou l’autre, ont lieu. Et c’est entre autres ce qui fait qu’aujourd’hui, nous ne parlons pas le français du XVIe siècle.
Cette tendance à la facilité, on la retrouve partout et, si elle n’est pas toujours un problème, elle peut le devenir lorsque nous nous contentons d’appliquer sans cesse les mêmes schémas de pensée et les mêmes grilles de lecture du monde, sans chercher à les renouveler, à les adapter ou à en percevoir les insuffisances. Ainsi faudrait-il apprendre à aimer ce qui est difficile parce que ce qui est difficile nous fait grandir. Mais c’est là un terrible raccourci ! Il faut que je m’explique…
La difficulté en elle-même n’engendre que la souffrance, sous différentes formes et à différents degrés. Ce dont nous nous passerions tous bien volontiers ! Mais l’effort qu’elle nous oblige à produire, lui, est intéressant. Il est intéressant parce qu’il nous ramène dans le champ de l’apprentissage, qu’on cantonne trop souvent au contexte scolaire. C’est en allant à la rencontre de nouvelles connaissances, de nouvelles méthodes, de nouvelles personnes que nous accroissons nos capacités. En prospectant en nous-mêmes, comme un géologue sonde les entrailles profondes de la terre, il se pourrait bien que nous découvrions, aussi, des sources d’énergie insoupçonnées.
L’écrivain autrichien Rainer Maria Rilke dit un peu la même chose à propos de la solitude et de l’amour sans ses Lettres à un jeunes poètes : « Nous savons peu de choses, mais qu’il faille nous tenir au difficile, c’est là une certitude qui ne doit pas nous quitter. Il est bon d’être seul parce que la solitude est difficile. Qu’une chose soit difficile doit nous être une raison de plus de nous y tenir. / Il est bon aussi d’aimer ; car l’amour est difficile. L’amour d’un être humain pour un autre, c’est peut-être l’épreuve la plus difficile pour chacun de nous, c’est le plus haut témoignage de nous-mêmes ; l’œuvre suprême dont toutes les autres ne sont que les préparations. »
L’idée, ce n’est pas d’aimer la difficulté pour elle-même, ce qu’a fait le dolorisme chrétien, peut-être plus précisément catholique, pendant des siècles. Les différentes douleurs qui naissent de toutes les sortes de difficultés n’auront jamais rien d’aimable à mes yeux. En revanche, je peux approcher la difficulté de différentes manières. Je peux laisser son potentiel destructeur se déployer. Je peux aussi chercher quel chemin me permettra d’apprendre et d’apprendre quoi.
En ce sens, je comprends mieux les paroles du Christ, lorsqu’il dit : « Entrez par la porte étroite. Car large est la porte, spacieux est le chemin qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent à la vie, et il y en a peu qui les trouvent » (Matthieu 7.13-14). Ce n’est pas une volonté de sa part de nous rendre la tâche plus difficile. C’est plutôt une invitation à ne pas toujours céder à notre penchant pour la facilité, à nous donner la peine d’étudier des solutions moins conventionnelles, moins communes, moins humainement logiques à nos difficultés. En un mot, c’est une invitation à porter un regard nouveau sur la vie.