De l'ordre et de la liberté
20 mai 2018 - 75x
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« Deux dangers ne cessent de menacer le monde : l'ordre et le désordre », écrit Paul Valéry. On peut en effet considérer l’ordre comme un écueil dès lors qu’il est une fin en soi. Comme par exemple lorsque les normes d’hygiène régissent les protocoles de fabrication au point qu’un fermier ne parvient plus à faire cailler son lait pour son fromage. L’ordre tue encore chaque fois qu’on se retranche derrière l’application de la loi pour ne pas avoir à arbitrer une situation, défendre un point de vue éthique ou risquer de perdre l’intérêt que nous portent certaines personnes. Ainsi en est-il du soldat qui n’a fait qu’obéir aux ordres. Son histoire est peut-être bien la nôtre…
Côté désordre, inutile de faire un dessin. C’est le règne de la confusion, de l’insécurité ; c’est la déstructuration, voire la destruction. Bien sûr, poussé à l’extrême, le désordre est une menace pour la stabilité et la durabilité de l’existence. Même les anarchistes reconnaissent qu’il faut une forme d’ordre. Simplement, ils estiment ou espèrent que cet ordre provienne directement de l’être humain lui-même, sans passer par une loi qui lui serait extérieure.
Pourtant, des deux côtés il y a du bon. Dire : ni ordre ni désordre, ou : et de l’ordre et du désordre, cela revient au même. L’ordre organise, conduit, limite, sécurise. Le désordre autorise la différence, crée, ouvre le champ des possibles. Et tous deux libèrent à leur façon ! Peut-être est-ce ce que voulait exprimer Paul Valéry lorsqu’il conclut en écrivant qu’« entre l'ordre et le désordre règne un moment délicieux »…
En matière de religion, l’ordre semble souvent être considéré comme préférable au désordre, et le juste milieu est délicat à trouver. D’ailleurs, l’orthodoxie désigne, au sens étymologique du terme, l’opinion droite, la bonne, celle qu’il faut suivre. Il suffirait alors de se conformer à la doctrine pour se garantir de toute erreur. Même les moins aventureux, les moins audacieux et les moins sûrs d’eux se sentent ainsi rassurés… à tort ou à raison !
Pourtant, en défrayant la chronique people des juifs de son époque, c’est-à-dire en ne respectant pas certaines prescriptions religieuses, et ce tout en se défendant d’avoir l’intention de passer la loi à la trappe, Jésus propose ce juste milieu. Un juste milieu entre ordre et désordre que nous peinons tous à trouver ou que, du moins, nous ne trouvons jamais de manière définitive. En ce sens, ces mots de Paul Valéry ne sont peut-être pas aussi éloignés du message biblique qu’on aurait pu l’imaginer !
Entre l’esprit et la lettre, le chrétien est appelé à tracer une trajectoire exigeante, rarement susceptible d’être anticipée, encore plus rarement à l’horizon lointain. Mais avancer sur un tel chemin de crête, en étant contraint de chercher sans cesse l’équilibre, n’est-ce pas la meilleure façon d’être libre ? Ni apologie ni mépris de la loi en général, que celle-ci soit de nature civile ou religieuse, la Parole de Dieu pousse à favoriser une vie pleine, sereine et généreuse. A choisir le chemin qui y mène plutôt que celui qui mène à la mort. Car pour le coup, il n’y a pas de demi-mesure, d’entre-deux estimable : soit nos décisions et nos arbitrages nous conduiront à la mort, soit ils nous conduiront à la vie.