Ce que j'ai je te le donne
31 mars 2019 - 23x
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Un matin, un sortant de la gare pour aller au travail, mes yeux sont happés par cette vision. Un homme en slip erre sous la pluie, mouillé et crasseux comme le misérable duvet dont il tente de se couvrir.
Comment dans mon pays, la France, un pays riche, ce genre de situation est-elle possible ? Comment un homme, fut-il un migrant, peut-il se retrouver à faire la manche à moitié nu sous l’averse ?
Depuis cet épisode, l’image de cet homme concentre en elle celle de tous les clochards que je peux croiser et qui, blancs, noirs, roms, jeunes, vieux… sont contraints de laisser de côté leur dignité pour battre le pavé à la recherche de celle ou de celui qui aura pitié d’eux. Certes, parmi eux se trouvent peut-être des menteurs, des acteurs qui voudraient profiter du système. Mais je pars du principe qu’on ne joue pas la comédie de la pauvreté par plaisir ni si on a d’autres solutions pour subvenir à ses besoins.
Car dans le fond, il y a bien des besoins… Peut-être pas celui d’argent, peut-être même pas celui de nourriture. Mais nous ne savons pas les capter à cause de la distance qui nous sépare de cet autre. On veut bien aider, à la rigueur, mais pas s’identifier à cette personne, assise par terre, qui ne sent pas bon ou qui a l’air de ne pas être très stable dans sa tête. La solidarité a ses limites ! Et cela nous fait passer à côté de l’essentiel…
Je repense alors aux disciples qui, dans les évangiles, ne peuvent éviter le mendiant qui réclame l’aumône à l’entrée du temple, où ils se rendent justement. Pierre n’a pas d’argent. Comme vous, comme moi, comme nous. Ou si j’ai de l’argent, je ne peux pas donner systématiquement. Et pourquoi à l’un et pas à l’autre ? Le paramètre argent ne résout pas tout.
Mais Pierre ne détourne pas pour autant le regard. Surtout, il reste ouvert à ce dont a besoin, au fond de lui, cet infirme qui mendie : la guérison ! Les premières fois où je me suis intéressée à ce verset, je me suis alarmée. Vous n’avez pas d’argent à donner aux pauvres, eh bien guérissez-les de leurs éventuelles maladies ou infirmités ! Ben voyons… Dieu aurait-il perdu la tête ? Si la seule alternative que propose l’évangile est une guérison miraculeuse, je crois que je vais m’en tenir à l’aumône, cela me semble plus abordable !
Mais à la réflexion, la guérison n’est qu’un exemple et non une injonction, l’étape ultime d’un processus qui n’impacte pas que la personne dans le besoin, mais aussi celle qui donne. Pourquoi ne pas imaginer d’autres propositions sur le même mode que Pierre : Je n’ai pas d’argent mais ce que j’ai, je te le donne ! C’est là qu’il dit au mendiant : Lève-toi et marche. Et moi, qu’ai-je à donner d’autre qui ne soit pas de l’argent ? Peut-on partir du principe que nous avons tous quelque chose à donner qui ne soit pas de l’ordre du matériel ? Pour ma part, je le crois. C’est à nous de trouver cette ressource, parfois cachée.
Si on peut donner l’aumône pour paraître bon aux yeux des hommes et de Dieu ; si on peut donner de l’argent sans y mettre de cœur, ce texte nous fait revenir à notre humanité. « Ce que j’ai, je te le donne » : quand on veut faire sienne cette phrase, on ne peut plus se contenter des apparences. Un travail en nous commence, qui est peut-être bien aussi le but de la charité.