Pas assez fort tout seul
13 octobre 2019 - 32x
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L’élégance aurait voulu que je m’arrête ailleurs que sur ce bord de route, envahi par les taillis. Seulement voilà, j’avais à peine de quoi m’asseoir sur la pierre qui se trouvait là mais c’était déjà un repos salutaire. J’avais roulé dès le matin, tôt, le soleil de l’été n’était pas encore levé. Mais il fallait que je me rende à l’évidence : la nuit n’allait pas tarder à tomber et avec mon vélo, je n’étais pas équipée pour poursuivre la route dans ces conditions-là.
Le rêve qui m’avait portée jusqu’ici faisait bizarrement moins d’effet au fur et à mesure que je m’approchais du but. Combien de fois m’étais-je imaginée arrivant de Lyon après des jours de pédalage dans ce petit village du sud de la France où mes parents élisent domicile à la belle saison ? Ce village a la particularité d’être dominé par un fort, construit par Vauban. Si bien qu’à l’approche, on aperçoit d’abord ses hauts murs et ses tours avant de découvrir le village, au détour du virage. En partant de chez moi, je me disais déjà : « Ah, quand tu verras le fort, quelle joie, quelle fierté ce sera de toucher au but. Qui aurait cru que tu franchirais un jour toutes ces étapes pour aboutir ici à vélo ? »
Et j’y étais ! Enfin, presque… Il me restait une trentaine de kilomètres avant la fameuse perspective sur le fort. Mais qu’est-ce que 30 kilomètres quand on en a déjà fait plus de 500 ? Hélas, il fallait bien le reconnaître, j’arrivais au bout de ce que je pouvais donner. Non seulement la nuit tombait mais mes ressources physiques commençaient à faire défaut. Je me sentais usée, fébrile, concentrée sur le guidon au détriment de l’environnement global et des voitures qui me dépassaient ; un peu comme dans un état second qui ne présage rien de. Bon quand il faudrait être en mode vigilance.
Tout ce contexte et le peu de capacité de réflexion qui me restait m’ont poussée à m’arrêter plutôt qu’à risquer l’accident juste pour apercevoir le fort depuis mon vélo. Là, sur le bord de cette route, sur mon morceau de rocher, je téléphonais à mes parents pour que l’un d’eux vienne me chercher. Comme il est bon d’avoir quelqu’un à appeler ! Je savourais cette chance, en même temps que je digérais mon renoncement. S’il est des décisions coûteuses en humilité, celle-ci en fut une ! C’était la fin de l’aventure et elle se terminait comme ça… Autrement dit, pas du tout comme je me l’étais représenté ! J’avais peur de regretter, a posteriori, ou même de m’en vouloir de ne pas avoir trouvé la force des derniers kilomètres.
Finalement, j’ai simplement appris à connaître et à reconnaître mes limites. Parfois, on peut tout donner, sincèrement et honnêtement. Sans retenue, et même au détriment soi. Et pourtant, ça ne suffit pas… Nous ne pouvons qu’admettre le constat de notre impuissance, ou du moins le constat que nous ne sommes pas tout-puissants (ce qui, au passage, est plutôt une bonne chose, il me semble).
Mais l’histoire ne s’arrête pas à ce constat ! Quelqu’un est présent pour prendre le relais. Quand les forces nous manquent, cette personne est là pour faire aboutir la quête, certes peut-être pas de la manière dont nous l’aurions voulu. Nos lacunes sont comblées, sans jugement ni commentaire. Cela n’est possible que si nous reconnaissons que nous avons besoin d’aide. Dieu nous invite à le faire sans crainte dans toutes les situations de la vie. Il est prêt à venir à notre secours, pour peu que nous acceptions l’idée que nous ne sommes pas assez forts pour tout faire tout seuls.