Nul n'est une île
22 janvier 2017 - 17x
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On dit que les habitants d’une île développent, en raison des limites de leur territoire, une mentalité spécifique. Le périmètre restreint, la dépendance vis-à-vis de l’extérieur en même temps que l’impératif catégorique de se débrouiller avec les moyens du bord forment un contexte susceptible de différencier nettement les insulaires des Américains, par exemple, tellement habitués à la vastitude des espaces que tout est surdimensionné si on compare à l’Europe (voitures, frigos, briques de jus de fruits…).
Je me demande parfois si le monde que nous avons fabriqué, et qui repose en grande partie en occident sur des valeurs économiques, ne nous a pas poussés à développer une mentalité insulaire à notre insu. Insulaire parce qu’axée sur la recherche de l’intérêt personnel, le repli sur soi, la sensation qu’il faut être toujours prêt à se défendre…
Alimentée voire façonnée par l’individualisme ambiant, notre topographie intérieure se caractérise de plus en plus par une gestion egocentrique, c’est-à-dire centrée sur ce qu’il y a de plus instinctif en nous (comme le plaisir ou la peur), de nos relations, de notre temps, de nos activités… Pourtant, nos vies n’en restent pas moins tissées ensemble. Ici en occident, il est vrai que c’est peu visible tant les conditions d’existence sont confortables. Les magasins bien achalandés, ouverts tous les jours et presque à toutes les heures, nous donnent l’impression de ne dépendre de rien ni de personne quant à notre subsistance. Tant que le système fonctionne, un individu peut vivre en totale autarcie.
Dès lors, pourquoi se mêler des affaires les uns des autres ? Dans un sain mouvement d’autonomie et d’indépendance, nous semble-t-il, nous préservons nos intérêts et notre liberté. Je ne m’occupe pas des autres car je n’ai pas tellement envie qu’ils franchissent à leur tour la frontière de ma petite île particulière. Du chacun chez soi au chacun pour soi, il n’y a qu’un pas que nous franchissons sans faire preuve de beaucoup de scrupules. A tel point qu’un sourire peut vite devenir suspect, ou chargé de sous-entendus. D’autres fois, on se retrouve comme engourdi. On ne propose pas au voyageur chargé de l’aider à porter un bagage dans les escaliers. On ne se laisse même plus discrètement couler dans son siège quand un vieillard monte dans le bus parce que nos yeux ne le voit même pas. On perd nos réflexes humains, on perd en solidarité. Ce faisant, on perd de vue les raisons fondamentales pour lesquelles nous faisons société.
Le Christ nous invite à nous aimer les uns les autres, c’est l’expression la plus évidente d’une mentalité qui se veut tout sauf insulaire. De manière plus indirecte mais tout aussi explicite pour peu qu’on prenne le temps de saisir le sens de ses paroles, Jésus met en garde contre l’insensibilité à l’égard du sort de son prochain qui gagnera les cœurs à la fin des temps. Si nous pensons que notre planète ne peut se suffire à elle-même, si nous pensons que les relations interpersonnelles contribuent à combler nos besoins réciproques, n’endurcissons pas nos cœurs, restons sensibles à ceux qui ont besoin de nous, y compris à ceux qui ne nous regardent peut-être pas.