Eloge de l'impréparation
04 mars 2018 - 19x
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On se prépare à sortir, on prépare son mariage, on prépare un voyage, on prépare son cartable, on se prépare à se coucher, on se prépare à passer à table… La banalité quotidienne est ponctuée d’événements qui exigent qu’on les anticipe et qu’on travaille à réunir les meilleures conditions pour leur réalisation. Et plus l’événement est important, plus la préparation l’est aussi ! Comme une façon de s’assurer du bon déroulement des choses… L’art du préparatif est ainsi un gage de sagesse ; le signe qu’on ne se lance pas à l’aventure sans avoir mûrement réfléchi ni sans avoir patiemment pesé le pour et le contre, les avantages et les inconvénients, les coûts et les bénéfices. Celui qui se laisse gouverner par sa spontanéité se l’entendra tôt ou tard reprocher : il s’est précipité, son engagement ne sera qu’un feu de paille, ce n’est qu’un coup de tête, etc. Tandis que le sage, lui, prend le temps. Il envisage à l’avance les obstacles possibles, les risques et les gains.
Mais dans certains cas de figure, il est tout simplement impossible de se préparer. On peut ainsi être surpris par un « coup du sort » que nul signe avant-coureur ne laissait entrevoir. Même ceux qui savent qu’un des leurs est proche de la mort disent qu’on n’est jamais prêt au vide de l’absence, par exemple. Pourtant, en nous mettant devant le fait accompli, la vie nous somme d’assumer notre condition humaine, qui consiste à reconnaître que nous ne maîtrisons pas le fil de l’existence. Car hélas, toutes les préparations du monde ne peuvent nous donner le pouvoir de décider du cours des événements…
Non, la préparation n’est pas toujours possible. Elle n’est pas toujours souhaitable, si nous voulons garder une souplesse d’adaptation face à la vie. Elle n’est pas non plus une garantie de réussite. Elle nous paralyse aussi, parfois, dans d’interminables préliminaires, nous faisant passer à côté de l’essentiel. Le Christ avait bien compris tout cela. D’ailleurs, l’appel à l’un de ses disciples (dont le nom n’est pas donné dans le texte biblique) résonne comme un éloge de l’impréparation. « Laisse les morts ensevelir les morts », répond-il à ce fils soucieux de ne pas quitter brutalement ses parents pour le suivre. Pourtant, quoi de plus naturel et de plus légitime ? Quoi de plus sage ? Changer radicalement de vie pour suivre Jésus, cela ne peut pas se faire sur un coup de tête ! Il faut un minimum de préparation, aménager la transition et mettre dans sa besace quelques affaires auxquelles on tient.
Mais Jésus sait que rien ne peut véritablement préparer à l’aventure qu’il propose. Mieux, il sait qu’accepter de ne pas pouvoir se préparer correctement est le signe suprême qu’on est prêt. Prêt à quoi ? Prêt à suivre son modèle déroutant de charité et de pardon. En effet, dans cette mission Jésus n’a pas besoin de femmes et d’hommes parfaits – même pas perfectionnistes ! Il a besoin de cœurs employés au service des autres. Un service gratuit et sans discrimination, qui peut aller jusqu’à donner sa vie. Qui peut raisonnablement affirmer être prêt à cela ? C’est en chemin, dans la fragilité d’un engagement qui se renouvelle chaque jour, que nous nous préparons à aimer vraiment et à rencontrer Dieu. Tels des pierres qui, contrairement à ce que dit le proverbe, roulent et amassent mousse.