La confiance plutôt que la force
15 septembre 2019 - 35x
Partager
Je craignais que le projet soit trop grand pour moi. Lyon-Perpignan à vélo en une semaine, n’est-ce pas une folie ? Je suis partie déterminée mais humble face à ce défi que je m’étais lancée à moi-même. La première étape me permit de m’évaluer. Elle se déroula sans problème, de façon aussi linéaire que l’était la route se déployant sous mes roues. Je décidai donc d’un programme plus soutenu pour le lendemain et de rouler plus longtemps. À la fin de ce deuxième jour, les 137 kilomètres parcourus dépassaient mes espérances !
Le troisième jour, je partis bille en tête : il fallait faire au moins aussi bien ! Peut-être même réussirais-je, une fois de plus, à me surprendre ? L’idée – que dis-je ?!, l’envie de la performance occupa dès lors largement mon esprit. Jusqu’à ce que l’épuisement, témoin douloureux de nos limites, me rappelle à la réalité. Et à ce que j’étais venue faire là, seule sur ces grandes routes et ces petits chemins, poursuivant un but qu’aucune urgence vitale ne m’obligeait à atteindre.
Non, mon objectif n’était pas d’avaler du kilomètre pour avaler du kilomètre, même s’il fallait bien avancer. Ce n’était pas non plus, ou pas seulement, de donner à mon corps un exutoire dont ma vie sédentaire le privait le reste de l’année. Ce périple à vélo était dédié à une relation renouvelée au temps et à Dieu, par la méditation et la contemplation. Par la lenteur d’une aventure qui se déroulerait au rythme des pédales et non tractée par le TGV de l’ambition.
Et voilà que je m’étais mise à vouloir ! Vouloir réaliser un certain nombre de kilomètres – comme s’il pouvait aller croissant chaque jour ! Vouloir épater la galerie. Vouloir pousser mon corps au-delà du raisonnable pour me prouver que l’impossible est possible. … Comme je m’étais vite laissée entraînée par l’attrait de l’exploit (fut-il relatif aux yeux des plus sportifs d’entre nous) ! Forte de la satisfaction d’avoir accompli une longue étape, je n’avais plus songé qu’à reproduire l’effort et comptais sur mes forces comme sur une mécanique brillante, infaillible ou du moins assurée tout risque.
Ce jour-là, je fis un peu moins d’une centaine de kilomètres. Pour autant, ce chemin eut des prolongements intérieurs profonds : renoncer à la performance comme une fin en soi, retrouver le sens et tirer ma joie du présent. Comme, si possible, dans la vie. À compter sur ses capacités propres, on se met la pression et finalement… on a peut-être moins de succès qu’en restant humble et désintéressé, juste porté par un désir candide et une confiance en l’avenir qui ne s’argumente pas.
C’est sans doute à un tel état d’esprit que le Christ nous invite lorsqu’il prend en exemple les enfants. « Laissez-les venir à moi car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent », dit-il à ses disciples. Jésus nous ouvre ainsi les portes de ce qui pourrait nous sembler inaccessible ou infiniment coûteux en énergie et en efforts. Mais il semblerait qu’avec lui, les choses les plus importantes ne se gagnent pas à la force du poignet. Elles sont d’ores et déjà offertes à ceux dont le cœur est disposé comme celui d’un enfant, humble, fragile, confiant.